Présentation de la mode de la fraise des années 1560 à l'an 1600
Dans son sens le plus strict, la fraise désigne les collerettes plissées ou godronnées faisant le tour complet du cou, fermées sous le menton et constituant un vêtement indépendant de la chemise (ou de la guimpe). Sous cette définition, elle ne semble pas apparaître avant les années 1560.
Dans son sens le plus souple, le mot inclut les collerettes simplement froncées, cousues sur le rebord de la chemise (ou de la guimpe) et faisant le tour du cou.
Les origines
La fraise apparaît avec le déclin du grand décolleté carré. Au cours des années 1540, la poitrine et les épaules sont progressivement couvertes par une guimpe ou une pèlerine. Le col fait son apparition ! La gorge se couvre d'un col montant qui cache peu à peu le cou sur toute sa hauteur. Les bords de ce col sont d'abord froncés, plissés (première image ci-dessous), puis, à la fin des années 1550, godronnés (deuxième image ci-dessous).
Le godron est le nom donné au pli rond. Pour lui maintenir sa forme ovoïde bien régulière, on applique sur le tissu un fer brulant et/ou on l'empèse avec de l'amidon (colle qui permet de le raidir). On parle alors de fraise empesée ou amidonnée. Les plis deviennent plus ou moins rigides.
Aux Pays-Bas vers 1550
Aux Pays-Bas vers 1555-1560
Les années 1550
En France
A l'origine, la collerette présente un enchevêtrement libre de plis froncés. Avec le temps, les plis deviennent plus importants en volume et c'est de ce développement qu'une fois empesée, va naître la fraise godronnée.
Les rebords des plis sont parfois brodés.
En Europe
La mode anglaise se distingue par la broderie de ses collerettes (deuxième ligne de portrait ci-dessous), caractéristique qui se voit encore sur les portraits anglais des années 1570.
Angleterre
Les années 1560
En France
A partir des années 1560, la collerette est godronnée ; elle présente une suite régulière de plis ronds de forme ovoïde, donnant l'impression d'une rangée de "8" successifs. Plus on avance dans le temps, plus les godrons prennent du volume.
En Europe
La mode anglaise continue de se distinguer par le rebord brodé de ses collerettes, mais aussi par leur composition. La fraise anglaise a l'originalité de présenter souvent deux rangées superposées de godrons, ce qui se retrouve rarement ailleurs (deuxième ligne de portrait ci-dessous).
Les années 1570
En France
C'est dans les années 1570 que la fraise connaît les métamorphoses les plus impressionnantes en volume. Dans la première moitié de la décennie, elle s'étend verticalement ; les godrons continuent de s'élever en hauteur, cachant finalement le cou dans toute sa longueur. Au milieu de la décennie, les plis apparaissent en éventail en-dessous de la tête, formant comme un énorme bloc.
Dans la seconde moitié de la décennie, la fraise s'étend horizontalement, les plis s'allongeant sur les côtés : la fraise s'élargit. A la fin de la décennie, elle est si large qu'elle ressemble à un grand plateau : la grande fraise fait ainsi progressivement son apparition. La mode féminine est proche en cela de la mode masculine, ce qui ne sera plus le cas à partir des années 1580, la fraise des femmes suivant alors une évolution distincte de la fraise portée par les hommes.
La décennie est également marquée par l'usage important de la dentelle, parfaisant l'effet délicat de la collerette. Devenue une pièce indépendante (c'est-à-dire détachée) de la chemise et de la guimpe, la collerette fermée mérite pleinement à cette époque le nom de fraise.
En Angleterre
La collerette anglaise suit les évolutions de la fraise française, tout en gardant parfois ses spécificités décoratives : rebords brodés, voire même perlés. De plus, l'ouverture de la fraise sous le menton est parfois apparente, alors qu'elle est camouflée dans la mode française (sur l'observation des portraits).
Dans le reste de l'Europe
Alors que la mode des Pays-Bas suit les logiques de la mode française (première ligne de portraits ci-dessous), celle de l'Italie espagnole suit un modèle tout à fait différent, en présentant notamment sur ses portraits une fraise beaucoup plus modeste en taille et en volume (deuxième ligne de portraits ci-dessous). La fraise grandit mais sans connaître les formes et les excès de la fraise française.
Les années 1580
En France
Faute de sources iconographiques datées, il est plutôt difficile d'établir une évolution précise de la fraise pour les années 1580. Sa circonférence continue encore de s'agrandir mais ce n'est pas la métamorphose majeure de cette période. La nouveauté principale consiste plutôt dans l'ouverture de la collerette sur le devant de la poitrine ; les plis s'écartent sous le menton, formant une ouverture comme un V inversé. La collerette présente désormais l'image de deux ailes de papillon. Après avoir été cachée pendant deux décennies, la gorge refait son apparition.
Cette disposition nouvelle est peut-être une réponse aux incommodités de la grande fraise, beaucoup trop volumineuse pour accéder à la bouche, que ce soit pour s'alimenter, pour porter un verre à ses lèvres ou encore pour embrasser ; l'ouverture de la fraise devant le visage est peut-être une adaptation pratique pour en contourner les contraintes. Nonobstant cet aspect encombrant, la grande fraise godronnée ne disparaît pas, elle continue de se voir sur les portraits durant toute la décennie (première ligne de portraits ci-dessous).
L'autre évolution dominante de la fraise des années 80 concerne la forme des plis ; jusqu'à cette époque, la forme des godrons n'avait pas évolué, gardant toujours une forme en lacet ou en 8. A partir des années 80, les plis s'aplatissent horizontalement au point de disparaître complètement ; c'est la mode des plis plats, la collerette s'aplatit et tend à se confondre avec un collet monté (deuxième ligne de portraits ci-dessous).
A la fin de la décennie, la mode des plis plats semble décliner. Les godrons reviennent, soit sous une forme ronde, soit sous une forme triangulaire (ci-contre). S'il y a peu de portraits datés qui peuvent en servir d'illustration, l'observation des portraits des années 1590 (en particulier anglais) permettent de confirmer cette inversion de la tendance ; l'époque est à l'hypertrophie (voir les années 1590).
En Angleterre
L'Angleterre est le seul pays à partager les tendances originales de la mode française. Aux Pays-Bas, les portraits présentent une fraise de dimension plus mesurée.
Aux Pays-Bas
Les années 1590
En France
Pour les mêmes raisons que la décennie précédente, il est difficile de saisir une évolution précise de la fraise. Plusieurs tendances générales sont perceptibles ; la plus importante est que la gorge est dégagée et mise à nu (héritage de la mode des années 80), laissant voir le collier de perle au-dessus de la fraise, et non en-dessous comme dans les années 1570. La fraise des années 1590 découvre le cou autant que la fraise des années 1570 le cachait.
La deuxième tendance générale de la fraise est sa circonférence irrégulière ; les plis sont courts sur le devant et redressés en hauteur sur les côtés. Cette forme semble règler le problème d'aisance posé par la grande fraise, bien que celle-ci se porte toujours. Par ailleurs, au niveau de sa largeur, la fraise n'a plus la démesure des années 1580. Dans les années 1590, sa circonférence diminue de beaucoup.
Les transformations de la mode se manifestent également sur la forme des godrons. Au commencement de la décennie, les plis présentent une forme complètement cylindrique, donnant à la fraise l'aspect d'une collerette formée de tuyaux (portrait ci-contre).
Ces tuyaux semblent prendre une forme ellipsoïdale dans le courant de la première moitié de la décennie (première ligne de portraits ci-dessous).
Il est ensuite plus difficile de saisir l'évolution de la forme des plis, à cause de leur diversité sur les portraits ; en observant ces derniers, on peut constater le retour des godrons traditionnels formant une rangée de "8". En réaction aux énormes plis, on a des godrons de petite hauteur (deuxième ligne de portraits ci-dessous) et des godrons parfaitement ronds (troisième ligne de portraits). Puis, la fraise se réduit en largeur (quatrième ligne de portraits).
En Angleterre
Est-ce le contexte des guerres de religion qui fait que les formes les plus extravagantes de la mode se rencontrent non pas en France mais à l'étranger ? Depuis l'assassinat d'Henri III en 1589, la cour de France s'était dispersée et le pays tout entier avait sombré dans le chaos et l'anarchie. Le contexte était nettement plus enviable en Angleterre. Depuis l'échec de l'Invincible Armada en 1588, le royaume d'Elisabeth traversait une période d'épanouissement qui lui valut l'appelation d'âge d'or.
Les portraits semblent confirmer l'éclat de cette période. En réaction à la mode des plis plats, les plis forment des tuyaux d'une amplitude impressionnante (portrait ci-contre). On y trouve comme en France la mode des tubes circulaires et ellipsoïdaux et la mode de la fraise ouverte sur la gorge.
En Italie
Au XVIe siècle, la fraise italienne n'a pas la démesure de la mode anglaise et de la mode française. On observant les portraits, on constate que c'est avec un retard de quelques années que la mode italienne adopte les godrons de grande amplitude qui caractérisent tant les années 1590 dans les pays du Nord. L'hypertrophie de la fraise devait pourtant devenir la caractéristique de la mode italienne au début du XVIIe siècle.
Je me demandais quel était le portrait de la dame en rouge des années 1560...
Je commence à chercher de l'icono des années 1560-70 en vue d'une prochaine tenue...
Merci!