Introduction
La collerette
La collerette désigne la pièce de tissu froncée ou plissée, placée au bord de l'encolure et entourant le cou.
C'est un élément de la mode emblématique de la fin de la Renaissance. Elle apparaît dans la seconde moitié du XVIe siècle et se porte jusqu'au début du XVIIe siècle. Son succès touche toute l'Europe ; elle est portée à la fois par les femmes et par les hommes, les adultes et les enfants, les classes nobles et populaires. Pendant presque un siècle, elle présente une grande variété de forme, évoluant dans le temps, selon les tendances propres aux pays, selon le statut social des personnes et leur mode de vie.
Pour en saisir l'évolution dans la mode féminine, il convient de distinguer deux types de collerettes: la collerette ouverte sur un décolleté et la collerette fermée qui a donné la fraise. Le blog présentera tour à tour l'évolution détaillée de ces deux types de collerette1.
Evolution de la collerette ouverte sur un décolleté
Evolution de la fraise
Evolution générale en France
Pour toute recherche de patrons et d'explications sur la réalisation des collerettes et des fraises, je vous renvoie à l'ouvrage suivant : Janet Arnold, Patterns of fashion, The cut and construction of linen shirts, smocks, neckwear, headwear and accessories for men and women c. 1540-1660, London : Macmillan, 2008.
Le livre abonde en illustrations qui permettent de comprendre la confection des collerettes (en particulier la fraise du XVIIe siècle, en Europe du Nord).
Notes
1. Il s'agit d'une nouvelle présentation de la collerette, faite à partir de plusieurs articles postés en 2008.
La fraise
Présentation de la mode de la fraise des années 1560 à l'an 1600
Dans son sens le plus strict, la fraise désigne les collerettes plissées ou godronnées faisant le tour complet du cou, fermées sous le menton et constituant un vêtement indépendant de la chemise (ou de la guimpe). Sous cette définition, elle ne semble pas apparaître avant les années 1560.
Dans son sens le plus souple, le mot inclut les collerettes simplement froncées, cousues sur le rebord de la chemise (ou de la guimpe) et faisant le tour du cou.
Les origines
La fraise apparaît avec le déclin du grand décolleté carré. Au cours des années 1540, la poitrine et les épaules sont progressivement couvertes par une guimpe ou une pèlerine. Le col fait son apparition ! La gorge se couvre d'un col montant qui cache peu à peu le cou sur toute sa hauteur. Les bords de ce col sont d'abord froncés, plissés (première image ci-dessous), puis, à la fin des années 1550, godronnés (deuxième image ci-dessous).
Le godron est le nom donné au pli rond. Pour lui maintenir sa forme ovoïde bien régulière, on applique sur le tissu un fer brulant et/ou on l'empèse avec de l'amidon (colle qui permet de le raidir). On parle alors de fraise empesée ou amidonnée. Les plis deviennent plus ou moins rigides.
Aux Pays-Bas vers 1550
Aux Pays-Bas vers 1555-1560
Les années 1550
En France
A l'origine, la collerette présente un enchevêtrement libre de plis froncés. Avec le temps, les plis deviennent plus importants en volume et c'est de ce développement qu'une fois empesée, va naître la fraise godronnée.
Les rebords des plis sont parfois brodés.
En Europe
La mode anglaise se distingue par la broderie de ses collerettes (deuxième ligne de portrait ci-dessous), caractéristique qui se voit encore sur les portraits anglais des années 1570.
Angleterre
Les années 1560
En France
A partir des années 1560, la collerette est godronnée ; elle présente une suite régulière de plis ronds de forme ovoïde, donnant l'impression d'une rangée de "8" successifs. Plus on avance dans le temps, plus les godrons prennent du volume.
En Europe
La mode anglaise continue de se distinguer par le rebord brodé de ses collerettes, mais aussi par leur composition. La fraise anglaise a l'originalité de présenter souvent deux rangées superposées de godrons, ce qui se retrouve rarement ailleurs (deuxième ligne de portrait ci-dessous).
Les années 1570
En France
C'est dans les années 1570 que la fraise connaît les métamorphoses les plus impressionnantes en volume. Dans la première moitié de la décennie, elle s'étend verticalement ; les godrons continuent de s'élever en hauteur, cachant finalement le cou dans toute sa longueur. Au milieu de la décennie, les plis apparaissent en éventail en-dessous de la tête, formant comme un énorme bloc.
Dans la seconde moitié de la décennie, la fraise s'étend horizontalement, les plis s'allongeant sur les côtés : la fraise s'élargit. A la fin de la décennie, elle est si large qu'elle ressemble à un grand plateau : la grande fraise fait ainsi progressivement son apparition. La mode féminine est proche en cela de la mode masculine, ce qui ne sera plus le cas à partir des années 1580, la fraise des femmes suivant alors une évolution distincte de la fraise portée par les hommes.
La décennie est également marquée par l'usage important de la dentelle, parfaisant l'effet délicat de la collerette. Devenue une pièce indépendante (c'est-à-dire détachée) de la chemise et de la guimpe, la collerette fermée mérite pleinement à cette époque le nom de fraise.
En Angleterre
La collerette anglaise suit les évolutions de la fraise française, tout en gardant parfois ses spécificités décoratives : rebords brodés, voire même perlés. De plus, l'ouverture de la fraise sous le menton est parfois apparente, alors qu'elle est camouflée dans la mode française (sur l'observation des portraits).
Dans le reste de l'Europe
Alors que la mode des Pays-Bas suit les logiques de la mode française (première ligne de portraits ci-dessous), celle de l'Italie espagnole suit un modèle tout à fait différent, en présentant notamment sur ses portraits une fraise beaucoup plus modeste en taille et en volume (deuxième ligne de portraits ci-dessous). La fraise grandit mais sans connaître les formes et les excès de la fraise française.
Les années 1580
En France
Faute de sources iconographiques datées, il est plutôt difficile d'établir une évolution précise de la fraise pour les années 1580. Sa circonférence continue encore de s'agrandir mais ce n'est pas la métamorphose majeure de cette période. La nouveauté principale consiste plutôt dans l'ouverture de la collerette sur le devant de la poitrine ; les plis s'écartent sous le menton, formant une ouverture comme un V inversé. La collerette présente désormais l'image de deux ailes de papillon. Après avoir été cachée pendant deux décennies, la gorge refait son apparition.
Cette disposition nouvelle est peut-être une réponse aux incommodités de la grande fraise, beaucoup trop volumineuse pour accéder à la bouche, que ce soit pour s'alimenter, pour porter un verre à ses lèvres ou encore pour embrasser ; l'ouverture de la fraise devant le visage est peut-être une adaptation pratique pour en contourner les contraintes. Nonobstant cet aspect encombrant, la grande fraise godronnée ne disparaît pas, elle continue de se voir sur les portraits durant toute la décennie (première ligne de portraits ci-dessous).
L'autre évolution dominante de la fraise des années 80 concerne la forme des plis ; jusqu'à cette époque, la forme des godrons n'avait pas évolué, gardant toujours une forme en lacet ou en 8. A partir des années 80, les plis s'aplatissent horizontalement au point de disparaître complètement ; c'est la mode des plis plats, la collerette s'aplatit et tend à se confondre avec un collet monté (deuxième ligne de portraits ci-dessous).
A la fin de la décennie, la mode des plis plats semble décliner. Les godrons reviennent, soit sous une forme ronde, soit sous une forme triangulaire (ci-contre). S'il y a peu de portraits datés qui peuvent en servir d'illustration, l'observation des portraits des années 1590 (en particulier anglais) permettent de confirmer cette inversion de la tendance ; l'époque est à l'hypertrophie (voir les années 1590).
En Angleterre
L'Angleterre est le seul pays à partager les tendances originales de la mode française. Aux Pays-Bas, les portraits présentent une fraise de dimension plus mesurée.
Aux Pays-Bas
Les années 1590
En France
Pour les mêmes raisons que la décennie précédente, il est difficile de saisir une évolution précise de la fraise. Plusieurs tendances générales sont perceptibles ; la plus importante est que la gorge est dégagée et mise à nu (héritage de la mode des années 80), laissant voir le collier de perle au-dessus de la fraise, et non en-dessous comme dans les années 1570. La fraise des années 1590 découvre le cou autant que la fraise des années 1570 le cachait.
La deuxième tendance générale de la fraise est sa circonférence irrégulière ; les plis sont courts sur le devant et redressés en hauteur sur les côtés. Cette forme semble règler le problème d'aisance posé par la grande fraise, bien que celle-ci se porte toujours. Par ailleurs, au niveau de sa largeur, la fraise n'a plus la démesure des années 1580. Dans les années 1590, sa circonférence diminue de beaucoup.
Les transformations de la mode se manifestent également sur la forme des godrons. Au commencement de la décennie, les plis présentent une forme complètement cylindrique, donnant à la fraise l'aspect d'une collerette formée de tuyaux (portrait ci-contre).
Ces tuyaux semblent prendre une forme ellipsoïdale dans le courant de la première moitié de la décennie (première ligne de portraits ci-dessous).
Il est ensuite plus difficile de saisir l'évolution de la forme des plis, à cause de leur diversité sur les portraits ; en observant ces derniers, on peut constater le retour des godrons traditionnels formant une rangée de "8". En réaction aux énormes plis, on a des godrons de petite hauteur (deuxième ligne de portraits ci-dessous) et des godrons parfaitement ronds (troisième ligne de portraits). Puis, la fraise se réduit en largeur (quatrième ligne de portraits).
En Angleterre
Est-ce le contexte des guerres de religion qui fait que les formes les plus extravagantes de la mode se rencontrent non pas en France mais à l'étranger ? Depuis l'assassinat d'Henri III en 1589, la cour de France s'était dispersée et le pays tout entier avait sombré dans le chaos et l'anarchie. Le contexte était nettement plus enviable en Angleterre. Depuis l'échec de l'Invincible Armada en 1588, le royaume d'Elisabeth traversait une période d'épanouissement qui lui valut l'appelation d'âge d'or.
Les portraits semblent confirmer l'éclat de cette période. En réaction à la mode des plis plats, les plis forment des tuyaux d'une amplitude impressionnante (portrait ci-contre). On y trouve comme en France la mode des tubes circulaires et ellipsoïdaux et la mode de la fraise ouverte sur la gorge.
En Italie
Au XVIe siècle, la fraise italienne n'a pas la démesure de la mode anglaise et de la mode française. On observant les portraits, on constate que c'est avec un retard de quelques années que la mode italienne adopte les godrons de grande amplitude qui caractérisent tant les années 1590 dans les pays du Nord. L'hypertrophie de la fraise devait pourtant devenir la caractéristique de la mode italienne au début du XVIIe siècle.
La collerette ouverte sur un décolleté
Présentation de la mode de la collerette ouverte en décolleté
sur la gorge ou la poitrine de 1560 à 1600
La collerette désigne la pièce de tissu froncée ou plissée, placée au bord de l'encolure et entourant le cou. Elle apparaît dans le courant des années 1530 et 1540, avec la mode du col montant.
Elle naît du développement du ruché du col de la chemise, c'est-à-dire de ses bords froncés.
Le présent article s'attachera à présenter les collerettes qui s'ouvrent sur la gorge ou la poitrine.
En Italie vers 1530
Aux Pays-Bas vers 1540
En Angleterre vers 1557
Les années 1550
En France
La collerette se présente sous deux formes. La première n'est pas sans rappeler les décolletés à jabot : le plissé suit le bord du décolleté, autour du cou et devant la poitrine (première ligne de portrait ci-dessous). Cette forme, caractéristique de la mode française (si l'on en croit les portraits) possède des traits communs avec le décolleté italien. Elle n'apparaît en France que pour les années 1550 uniquement (c'est-à-dire sous le règne d'Henri II). En revanche, elle se voit beaucoup sur les portraits italiens pendant toute la seconde moitié du XVIe siècle.
La deuxième forme de collerette portée en France dans les années 1550 est plus classique. Elle se porte au bout d'un col dont les deux pointes se présentent écartées (deuxième ligne de portrait ci-dessous).
La collerette ouverte est composée de plis qui se développent avec les années. Comme pour la fraise, elle devient godronnée à la fin de la décennie (et comme pour la fraise, ses rebords sont brodés).
La collerette se porte également sur la pélerine ; la pélerine est un par-dessus qui recouvre les épaules, et qui est très courant sur les portraits des années 1550 (ci-contre et ligne de portraits ci-dessous). Les plis froncés bordent l'encolure de la pélerine et viennent se juxtaposer à la collerette de la guimpe.
Les années 1560
En France
La collerette continue de s'épanouir. La taille et la forme de ses godrons suit en parallèle la même évolution que ceux de la fraise.
La mode de la guimpe qui s'était imposée dans les années 1550 semble atteindre son apothéose dans les années 1560. C'est du moins ce que présentent le portraits de cette époque. Le décolleté est pour ainsi dire quasi absent ; même si, devant la poitrine, la guimpe se fend parfois légèrement en deux. Le collier (qu'on appelle aussi le carcan) se porte par dessus la guimpe.
Aux Pays-Bas
Les femmes du Nord portent une collerette dont l'évolution est quasiment identique à celle de la mode française (on saisit mieux sur les portraits ci-dessous, l'agrandissement des godrons au fur et à mesure des années), mais leurs portraits plus austères exposent moins la guimpe blanche posée grâcieusement sur les épaules, comme elle est de mise à la cour de France.
En Angleterre
La mode anglaise se distingue des autres pays par ses collerettes à double rang, ses rebords brodés, et sa forme particulière : Contrairement à la collerette en France et aux Pays-Bas, les pointes du col se rapprochent au lieu de s'écarter, et la collerette dépasse et cache les oreilles.
Les années 1570
En France
Les années 1570 sont marquées par le retour important du décolleté. Les épaules restent toujours couvertes par la guimpe, mais celle-ci se fend largement en deux, laissant le haut de la poitrine en partie découvert. Le collier qui se portait au-dessus de la guimpe, se porte désormais en-dessous, à même la peau.
L'autre tendance dominante de cette époque est l'épaisseur importante de la collerette. Par la taille démesurée de ses godrons et l'orientation de ses plis, elle continue de suivre l'évolution de la fraise. Ceci explique l'aspect massif de la rangée de godrons au milieu de la décennie.
Vers 1573, les plis se dressent pointés vers le ciel, enserrant de près le visage (deuxième ligne de portraits ci-dessous), puis, dans la seconde moitié de la décennie, comme pour la fraise, ils s'allongent sur les côtés (quatrième ligne de portraits ci-dessous).
L'effet visuel rendu par cette évolution est celle d'une collerette qui semble fleurir au fur et à mesure du temps. C'est la la naissance de la collerette en éventail.
Chez les femmes enceintes, les veuves, et les dames âgées, la collerette peut évidemment se porter sans trop de décolleté, légèrement ouverte sur la gorge ou pas du tout (galerie de portraits ci-dessous).
En Europe
Les années 1580
En France
La collerette en éventail connaît dans les années 1580 son déploiement maximal. C'est à cette époque une mode propre à la cour de France, portée et mise en vogue par les reines Marguerite de Valois et Louise de Lorraine (respectivement représentées ci-dessous dans les médaillons).
Comme pour la fraise, la mode est aux plis plats. Mais faute de portraits datés, il est difficile de saisir une évolution précise. Les différents portraits présentés ci-dessous sont regroupés par technique artistique (gravure, peinture et dessin).
En Italie
Seule l'Italie semble adopter une mode proche de celle de la France, mais sans en connaître ses excès. L'Angleterre des années 1580 se caractérise par une absence quasi totale du décolleté dans le portrait (ce qui ne signifie pas que les Anglaises n'en portaient pas).
Les années 1590
En France
Pour les mêmes raisons que la décennie précédente, il est difficile de saisir l'évolution de la collerette à l'année près. Les années 1590 constituent la période de transition pendant laquelle la mode de la collerette passe le relais à celle du collet monté ; les formes qui apparaissent sur les portraits sont d'une grande diversité et cette diversité nuit à la compréhension des tendances.
L'évolution majeure des années 1590 concerne la forme. La collerette des années 80 s'épanouissait en s'allongeant sur les côtés. Celle des années 90 prend un sens totalement inverse. Il se réduit sur les côtés, le premier pli est plus court que ceux qui suivent derrière lui. Cette mode donne à la collerette la forme d'un fer à cheval.
Au niveau de la forme des godrons, la collerette semble se calquer encore sur la fraise. Sur l'un des portraits présentés ci-dessous, les plis présentent un aspect ellipsoïdal, comme ceux que présente la fraise dans la première moitié de la décennie (détail ci-contre).
Au cours des années 1590, le collet monté remplace progressivement la collerette. Parfois, les deux se portent superposés l'un sur l'autre (peinture de la deuxième ligne de portraits ci-dessous). La forme en fer à cheval demeure.
En Angleterre
Bénéficiant d’un contexte politique plus agréable, la mode anglaise reprend à son compte ce qui avait fait la caractéristique de la mode française. Elle arbore les décolletés, avec le port de collerettes en éventail particulièrement imposantes.