Le haut-de-chausses
Les chausses sont les éléments du costume masculin qui habillent la partie inférieure du corps, des hanches jusqu'aux pieds. Ce sont en quelques sortes les bas du moyen âge.
Pour le XVIe et XVIIe siècles, le mot haut-de-chausses désigne la partie supérieure des chausses.
Au cours de son évolution, le haut-de-chausses se décline sous plusieurs formes. Nous n'entrerons pas dans le détail des appellations ; le sujet reste encore très incertain. Mais, par souci de clarté, on peut ranger le haut-de-chausses en deux catégories :
- les chausses rembourrées et structurées allant à mi-cuisse et qui sont très souvent formées de bandes ou de crevés ; c'est le type de haut-de-chausses qu'on associe le plus couramment à la noblesse. Selon les formes rencontrées, on le désigne par les mots grègues, culot, lodier, boulevard et trousses.
- les chausses recouvrant les cuisses de la ceinture aux genoux (au-dessus ou en-dessous) et qui présentent le plus souvent un ensemble plutôt lâche et non structuré ; pour les désigner, on utilise selon les formes, les mots chausse à la gigotte, chausse bouffante, chausse à gros plis, chausse en bourse, et culotte. Au XVIIe siècle, elles supplantent les trousses.
Les origines
Début du XVIe siècle
Le haut-de-chausses est une mode qui s'est particulièrement développée dans l'espace germanique.
A son commencement, il ne se différenciait du bas-de-chausses que par la couleur ou la présence des crevés (petites entailles parallèles qui laissent entrevoir l'étoffe blanche) :
Les bas-de-chausses tenaient alors avec des jarretières :
Le haut-de-chausses pouvaient également être composé de petits bourrelets superposés (eux-aussi décorés de crevés).
Exemples ci contre avec le portrait de Charles Quint et ci-dessous :
Sous François Ier, les balbutiements de ce type de haut-de-chausses sont contrebalancés par la saie, sorte de tunique qui descend en plis au-dessus des genoux.
C'est une mode qui vient des paletots (ou jaquettes) que les hommes portaient sous Louis XII :
La saie se présente comme une tunique composée d'une jupe à tuyaux. Elle est généralement ouverte sur la poitrine, formant une sorte de "v" ou de "u" qui descend jusqu'à la ceinture.
Elle cache par ses plis tuyautés, les chausses que les hommes portent en dessous. En revanche, elle laisse découvrir la proéminente braguette qui caractérise cette époque.
On retrouve la saie sur le fameux portrait de François Ier peint par Clouet vers 1527. Entre la chamarre et le pourpoint chatoyants du monarque, elle apparaît difficilement au premier coup d'oeil du spectateur :
On peut la voir reconstituée sur le montage que j'ai présenté sur un autre blog.
Les années 1540
La mode masculine des années 1540 est marquée par la mise en valeur du haut-de-chausses. La jupe masculine (la saie) est raccourcie. La tendance de l'époque l'a progressivement rendu désuète. Le lourd manteau ne tombe plus en-dessous des genoux et les basques du collet (partie inférieure située sous la ceinture) sont raccourcies. Au niveau inférieur de l'habit, l'attention se porte désormais sur le haut-de-chausses.
S'il existe une variété importante de haut-de-chausses du point de vue de la composition formelle, celui qui prédomine sur les portraits est celui constitué de bandes verticales et d'une étoffe bouffante qui le rembourre de l'intérieur. Les bandes sont relâchées, permettant à la précieuse et délicate étoffe d'être exhibée à travers les larges ouvertures laissées entre les bandes (image ci-contre : Anonyme italien, Portrait d'Alessandro Alberti et de son page, détail, c. 1545, National Gallery of Art).
L'exhibition de l'étoffe à travers les bandes est ce qui caractérise les années 1540.
Les années 1550
Au milieu du siècle, la mode masculine est marquée par la mise à nue des cuisses. Le haut-de-chausses se présente très court et laisse à découvert une très grande partie des membres inférieurs. La tendance se constate sur les portraits des années 1540, mais prédomine au milieu du siècle. Le haut-de-chausses devient sobre, tant par sa taille que par sa composition. Par opposition à la mode précédent, l'étoffe intérieure se fait plus discrète.
Dans cette recherche, la mode semble abandonner le style exubérant des hauts-de-chausses composites, à bandes mutilples et à sens variées.
La silhouette générale est allongée. L'ensemble, jambe et cuisse mises à nue et l'abaissement de la ceinture qui allonge le torse contribue à cette ligne verticale que vient contrebalancer le manteau.
Cette ligne est partagée par les grandes cours européennes. Elle habille le roi Henri II et les princes de sa famille sur les portraits du début des années 1550 (première ligne de portraits ci-dessous) et se retrouve, à la même période, sur les portraits des princes de la maison de Habsbourg (deuxième ligne de portraits représentant le futur empereur Maximilien et son cousin le futur Philippe II d'Espagne).
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Evolution de la tendance
Sur ces deux portraits présumés d'Henri de Navarre (ci-contre à gauche), futur roi Henri IV (1553-1610), apparaissent deux modes complètement opposées. Le portrait de gauche appartient tout entier à l'ancienne mode. Le haut-de-chausses représenté est celui qui était tendance durant les années 1530-1540.
Le second portrait à droite, traditionnellement daté de 1557, appartient au nouveau style (que ce soit au niveau du pourpoint ou des haut-de-chausses). Le jeune prince porte les chausses découpées en bandes, avec un ballonnement prononcé de tissu blanc qui en fait toute son originalité. C'est ce ballonnement qui sera à l'origine des formes hypertrophiées des années 1560.
Cette tendance se retrouve sur le portrait d'Henri II de France par François Clouet.
En le comparant avec les portraits vu précédemment, peut s'observer un volume légèrement plus important. Les bandes semblent plus larges et bien qu'elles soient relativement détendues, l'ensemble présente un léger ballonnement (image ci-contre).
Cette tendance se retrouve sur les portraits des autres cours européennes ; le haut-de-chausses grossit en taille :
Les années 1560
La mode des années soixante amplifie les tendances apparues pendant la décennie précédente : accroissement et extension (au niveau des dimensions), ballonnement (au niveau de la forme), et dédoublement des bandes (au niveau de la composition).
En se développant, le haut-de-chausses réagit en symétrie à l'hypertrophie des mancherons qui était de mise sous François Ier. Les trousses focalisent les regards au niveau des cuisses, à l'opposé de la mode ancienne qui mettait l'accent sur les épaules. Entre la génération des années trente et celle des années soixante, le changement de ligne est radical. Elle fait de la trousse la pièce maîtresse de l'habit masculin.
Le développement du haut-de-chausses a pour conséquence son accroissement en volume et son extension le long du corps.
La trousse double son volume et dépasse désormais le milieu de la cuisse. Elle retombe au-dessus du genou avec une contenance accrue.
C'est la principale évolution des années soixante : un rembourrage plus important.
Ce gonflement a pour effet le dédoublement des bandes qui forment la partie extérieure du haut-de-chausses. Dans les années quarante, les trousses sont formées de quatre bandes verticales de taille assez large et plutôt relachées.
Avec la tendance au ballonnement, les bandes sont plus petites et plus nombreuses. De quatre bandes, le haut-de-chausses passent à une vingtaine.
Ce qui caractérise également le style des années soixante c'est sa forme quasi-sphérique. Cette tendance apparaissait déjà dans les années cinquante. Mais avec le renforcement du rembourrage, le haut-de-chausses apparaît comme deux énormes ballons.
Sa taille fait presque oublier la proéminente braguette. Celle-ci disparaît déjà entre les bandes. Bientôt, elle sera passée de mode et laissée au placard. C'est la dernière génération à la porter. Ceux qui l'avaient exhibé dans leur jeunesse, vont bientôt la désavouer. Michel de Montaigne en parle, s'étonnant qu'il ait pu lui-même par le passé céder à cette tendance en train de devenir ridicule.
Ce qui donne désormais de la virilité à l'homme, c'est - avec la moustache - la grosseur de ses chausses. Serait-il outrancier de dire qu'une concurrence semble s'établir pour celui qui a les plus volumineuses ?!
Au cours de la seconde moitié des années 1560, le haut-de-chausses atteint son extension maximale. Il est si volumineux que les hommes peuvent y cacher des outils, des livres, et des armes. Dans le contexte des guerres de religion, le haut-de chausses devient l'icone d'une période dominée par les affrontements. Le portrait ci-contre en est l'illustration. J'ai souhaité souligner par un cercle bleu la forme ovale du vêtement, mais ce qui apparaît finalement au premier regard, c'est la dague placée à l'intérieur.
Les années 1570
En France
La principale évolution des années 1570 réside dans le rétrécissement des trousses. Par opposition aux formes hypertrophiées des années 1560, la mode revient à des tailles beaucoup plus courtes. L'évolution est assez perceptible sur les portraits français, entre la première moitié de la décennie et la seconde.
La deuxième tendance générale de la décennie est le changement de forme. Par réaction aux lignes rondes et ovales des années 60, les trousses s'aplatissent et prennent une forme trapézoïdale. C'est la mode de la chausse en bourse. La chausse n'est rembourrée que dans sa partie inférieure.
Cette tendance s'observe sur les portraits avec des assimilations différentes, mais se confirme au fur et à mesure que les trousses se réduisent en taille. Il y a un processus de structuration du haut-de-chausses.
Années 1570-1575
Sur ce dessin de la fin du règne de Charles IX, époque de la Saint-Barthélemy, le duc d'Anjou (futur Henri III) porte, sous son armure, des trousses qui ont la forme trapézoïdale caractéristique de cette époque.
En-dessous de ces trousses, il porte au niveau des cuisses, une sorte de culotte plissée assez moulante. C'est ce qu'on appelle le canon.
Les bas-de-chausses sont tenus par des jarretières.
Années 1575-1580
Sur les portraits de la seconde moitié de la décennie, le haut-de-chausses se réduit de manière considérable. Il est à noter qu'il conserve sa forme trapézoïdale.
Son fond devient complètement plat et semble même se creuser. Le bord inférieur se plie et rebique légèrement, donnant au haut-de-chausses un effet aérien (ce qui le différencie du haut-de-chausses des années 1540 qui est court comme lui, mais qui a une forme allongée et qui épouse la forme des cuisses).
Le haut-de-chausses peut se présenter dans des dispositions de matières différentes. Dans le tableau de la Femme entre deux âges (vers 1575), le jeune homme est habillé d'un haut-de-chausses en satin qui n'est pas recouvert de bandes (image ci-contre à gauche).
En Europe
La mode de la chausse en bourse de forme trapézoïdale touche toute l'Europe occidentale et impériale. Là aussi, la tendance est au raccourcissement de la chausse.
Les gravures montrent la taille et la forme du début de la décennie (1570-1575).
Les figures colorées d'hommes en armes présentées ci-dessus sont tirées d'un traité sur le maniement des armes (Trattato sul maneggio delle armi), un ouvrage italien dédicacé au roi Henri III vers le milieu des années 1570 (le manuscrit est conservé à la Bibliothèque nationale de France). Elles offrent sur les chausses une série de point de vue différents.
Même si les figures portent toutes un habit identique, on peut remarquer quelques différences au niveau de la toque, et du haut-de-chausses. Dans les chausses, la forme prédominante est celle de la chausse en bourse. Mais on y trouve aussi le style plus classique, celui qui épouse la forme des cuisses. C'est la tendance de la génération précédente, celle du milieu du siècle, désormais désuète, mais probablement plus adaptée pour une pratique sportive.
L'image ci-contre montre les deux formes juxtaposées : l'une allongée le long des cuisses qui est la forme obsolète et l'autre rembourrée en bourse, qui fait la mode du moment.
Comme toutes le formes ringardes, cette forme aplatie sera remise à la mode selon une nouvelle configuration.
Les années 1580
En France
Le haut-de-chausses se porte très court durant toute la décennie 1580.
La première tendance identifiable est le phénomène d'aplatissement. Le haut-de-chausses des années 70 avait une découpe trapézoïdale avec un fond plat et des bords saillants (première figure à gauche ci-dessous). Celui des années 80 adopte une silhouette plus discrète. Il se rabat sur les hanches dont il semble presque épouser la forme. Son volume est aplati (figure ci-dessous à droite).
Ce phénomène d'aplatissement se remarque bien sur les costumes des scènes de bal peintes sous Henri III (images ci-dessous). Le haut-de-chausses paraît presque s'enrouler autour de la cuisse des gentilhommes.
Cette forme étroite et aplatie explique peut-être la nécessité qu'ont eue les hommes de porter sur les cuisses, des chausses longues et étroites, allant jusqu'au genou : les canons. La mode d'associer les deux vêtements n'est pas nouvelle mais elle semble se confirmer dans les années 80. Sur les images ci-dessous, les canons sont tailladés d'une multitude de petits crevés parallèles. C'est une réminiscence des années 1530 (voir le portrait de Charles Quint plus haut).
Le haut-de-chausses est si court que placé sur les hanches comme il est, il laisse le bas des fesses à découvert. Cela explique probablement l'appellation qu'on lui donne à cette époque : le culot 1.
Si le gentilhomme ne porte pas de canons (comme sur l'illustration à gauche), le bas fait apparaître de façon moulante les formes galbées des fesses.
Sur le devant, la proéminente braguette de l'ancienne mode a laissé la place à une coquille.
Le culot est indissociable de la silhouette générale du costume ; le haut-de-chausses s'encastre comme une pièce de puzzle sous le pourpoint qui déborde en pointe vers le bas de façon proéminente ; c'est le pourpoint à panseron. Resserré à la taille, mais boursouflé en pique sur le devant, le pourpoint donne au buste de l'homme une allure de guêpe que vient renforcer la forme tassée et étroite du haut-de-chausses.
Contrairement à ce que les scènes de bal peuvent laisser penser, ce n'est pas un habit réservé aux soirées dansantes, ni un costume de carnaval. L'image ci-contre peinte par le flamand Hieronymus Francken, émigré à Paris, montre ces mêmes gentilhommes en « habit du dimanche », dans un jardin d'agrément (ci-contre).
Avec le pourpoint à panseron, le culot entre dans cette catégorie de vêtements fantaisistes, dont le caractère stylé nous échappe aujourd'hui, mais qui, à l'époque, faisait la classe du gentilhomme élégant.
La même pièce apparaît sur les costumes sombres et austères imposés par Henri III à sa cour. Le roi avait fixé des règles très strictes en matière d'étiquette et les courtisans devaient s'y conformer sous peine d'amendes2. Le culot s'aperçoit sous la ceinture, tantôt sans canons, tantôt avec des canons (figures de gauche et de droite ci-dessous).
Cette mode est également adoptée par les gens du peuple. Vous en avez des exemples sur les illustrations ci-contre, avec un marchand parisien (à gauche) et un colporteur (à droite).
En Angleterre
On retrouve la même mode en Angleterre.
Les années 1590
En France
La principale évolution des années 1590 réside dans l'agrandissement des trousses. La mode revient à des tailles qui rappellent les tendances des années 1570-1575 (renouvellement cyclique de la mode).
Les trousses adoptent une ligne rectangulaire (par opposition à la forme ronde des années 1560, devenue complètement désuette). Cette nouvelle ligne s'explique par la platitude du haut-de-chausses qui n'est pas ou peu ballonné. Dans la continuité des années 1580, le culot reste relativement plat, ce qui le rend différent de celui porté avec les mêmes dimensions dans les années 1570.
Les trousses apparaissent souvent sous une forme souple et bouffante.
Portraits d'Henri de Guise (portrait posthume des années 1590 ?) et portrait d'Henri IV vers 1600
Le premier porte des trousses en tissu souple et bouffant ; le second est habillé de façon plus solennelle et porte des trousses formées de plusieurs bandes resserrées.
En Angleterre
La mode anglaise n'étant pas très différente de la mode française, l'observation des portraits anglais s'avère très utile pour saisir les différentes facettes du haut-de-chausses français. Comme en France, les trousses ont tendance à se présenter sous une forme bouffante, mais ce que revèle particulièrement bien le portrait anglais, c'est qu'elles se portent souvent par-dessus des canons (sortes de bas qui recouvrent les cuisses). C'est une constante sur les portraits anglais, mais c'est une mode que l'on le retrouve également en France.
La suite de portraits présentée ci-dessous montrent l'agrandissement des chausses au fil des années et comme en France, elles gardent une forme rectangulaire.
Il existe également un type de haut-de-chausses particulier, couvrant d'un seul tenant le haut des cuisses, y compris au niveau de l'enfourchure. Ce serait ce qu'on appelle le boulevard (ou boulevart), autrement dit la pièce qui fait tout le tour du bassin sans interruption.
Le boulevard trouve peut-être son origine dans l'habillement militaire. On le voit sur les portraits représentants des jouteurs (image ci-contre) et il est mentionné pour cette fonction au XVe siècle.
Sa taille et sa forme suivent la mode des années 1590 : allongement sur les cuisses et mise en forme rectangulaire(exemple d'évolution avec les deux portraits ci-dessous).
En Europe espagnole
Ce sont dans les pays sous influence espagnole que se perçoit le mieux l'allongement de la forme des trousses. Cette tendance va se développer partout en Europe dans les années 1600, preuve semble t-il du maintien de l'influence de l'Espagne sur la mode.
Notes
1. Edmond Huguet, Dictionnaire de la langue française du 16e siècle, 1934.
2. Jacqueline BOUCHER, Société et mentalités autour de Henri III, Paris, Honoré Champion, coll. « Bibliothèque littéraire de la Renaissance », 2007. Et sur l'étiquette à la cour de France, voir également Monique CHATENET.
XVIIe siècle (trousses)
Les trousses continuent de se porter au XVIIe siècle, bien qu'elles soient fortement concurencées par la culotte bouffante. Tendance d'une mode curiale, elles finissent par se figer comme vêtement de cérémonie et, à partir des années 1620, à tomber en désuétude. Une importante distinction peut être faite entre la mode espagnole qui règne en Europe et la mode française.
Les années 1600
En France
Dans le prolongement de la décennie précédente, les chausses continuent de s'agrandir. Elles suivent la mode espagnole en s'allongeant vers le bas, dépassant le milieu de la cuisse.
Sur le portrait ci-contre, le roi Henri IV porte une sorte de boulevard (chausse faite d'un seul tenant). Conformément à l'évolution de la tendance, sa forme est désormais plus haute que large.
L'évolution des trousses montre clairement que la mode à la cour d'Henri IV prend le contrepied des modes en vogue sous Henri III. De cette opposition des tendances, certains historiens en ont conclu hâtivement qu'il sagissait pour les contemporains d'Henri IV de réagir contre le style de vie du dernier Valois et de sa cour et d'affirmer que celle d'Henri IV était moins décadente que celle de son prédécesseur. C'est quand même rester prisonnier des clichés un peu facilement, et sous-estimer les logiques propres à la mode.
En Angleterre
L'évolution des formes est perceptible sur la suite chronologique de portraits présentée ci-dessous : les trousses passent d'un format horizontal à un format vertical.
En Espagne
Au début du XVIIe siècle, l'empire espagnol reste une puissance de valeur sûre ; l'âge d'or se poursuit, en particulier dans les arts. L'influence de la mode espagnole sur l'Europe en est l'illustration. La forme très verticale des trousses s'y constate de façon précoce.
En Italie
La tendance à l'allongement des chausses est portée à son paroxysme en Italie, pays alors dominé par les Espagnols ; les trousses descendent quasiment aux genoux.
Les années 1610
En France
Les années 1610 sont dominées par le port de la grande culotte bouffante. Les trousses se portent toujours, mais sur le plan iconographique, elles apparaissent moins fréquemment que la culotte. L'image qui représente ci-dessous le jeune roi Louis XIII l'illustre bien. De tous les personnages qui composent sa suite, il est le seul à porter des trousses ; les cavaliers qui le suivent, portent tous, la culotte bouffante.
Déjà fortement marquées socialement, les trousses prennent une valeur de plus en plus cérémoniale. A l'origine mondaines et nobles, elles se limiteraient progressivement à une utilisation protocolaire ; sur le plan de la mode courante, c'est le parcours classique de beaucoup de vêtements en fin de "vie".
Pour un autre aperçu "statistique", voir la série de gravures de Merian, intitulée L'ordre tenu au marcher parmy la ville de Nancy capitale de Lorraine à l'entrée en icelle du serenissime prince Henry II : nobles, bourgeois, gens de justice (liens vers Gallica).
Sur la forme, les trousses reviennent à une silhouette trapézoïdale. C'est un retour en arrière. Après l'extension vers le bas des années 1600, les trousses repassent à une forme horizontale qui rappellent les trousses portées 15 ans plus tôt (voire même 40 ans plus tôt). C'est symptomatique des effets cycliques de la mode : les trousses des années 1610 sont une réminescence des années 1590, elles-mêmes réminescences des années 1570.
Le jeune roi Louis XIII porte sur les portraits ci-dessous des trousses constituées de larges bandes espacées, présentant une doublure bouffante, comme en portent traditionnellement les gardes suisses. Dans le cas présent, il s'agit semble t-il d'une fausse doublure à crevés, sous laquelle se trouve une autre doublure qui est vraie cette fois-ci. Système illusionniste qui montre l'ingéniosité des modistes de la cour pour moderniser les modèles anciens.
En revanche, sur le portrait de son mariage (image ci-contre), Louis XIII porte des trousses plus traditionnelles. Leur forme allongée rappelle celle de la décennie précédente. Les chausses sont plus hautes que larges et les cuisses sont en grande partie recouvertes.
L'image est une oeuvre de Jean Chalette. Elle a été commandée par les dignitaires de la ville de Toulouse, pour commémorer les noces du roi avec l'infante Anne d'Autriche en 1615. L'illustration témoigne du passage progressif de ce type de haut-de-chausses à une utilisation solennelle, cérémoniale, ou protocolaire. Elle témoigne aussi peut-être du maintien de l'influence espagnole en matière de mode.
En Angleterre
La mode revient également à des tailles plus courtes et des formes plus trapézoïdales.
En Europe du sud
Sur les portraits d'Espagne et d'Italie, la mode des chausses à la ligne verticale perdure.
Les années 1620
En France
Dans les années 1620, les trousses se portent toujours. Les gravures de Crispin de Passe (images ci-dessous) en sont de très belles illustrations ; les gentilshommes de Louis XIII y sont représentés avec des chausses bouffantes ou à bandes, dans des tailles qui ne dépassent pas le milieu de la cuisse. Ces gravures montrent que dans les années 1620, les trousses ne sont pas encore tout à fait passées de mode et qu'elles connaissent peut-etre à cette époque un dernier regain (par opposition aux grandes culottes bouffantes devenues par trop populaires dans les années 1610 ?).
Par opposition à la mode espagnole, les trousses françaises gardent leur forme horizontale. L'arrête inférieure est plus arrondie et la doublure davantage rembourée ; ces dispositions donnent à la chausse une silhouette plus courbe et plus convexe (image ci-dessous).
Lorsque dans les années 1620, le peintre Rubens représente le roi Henri IV dans sa série de tableaux sur la vie de Marie de Médicis (image ci-contre), il fait porter à l'ancien roi des trousses dont la forme « habillée » relève plus du costume solennel que de la mode courante : la silhouette de ses chausses est carrée, le fond est plat, et comme dans les années 1600, sur le plan de la taille, le milieu des cuisses est dépassé.
Rubens n'est pas un historien ; il ne cherche pas à reconstituer la mode d'une époque (la scène représente sous une forme allégorique la transmission du pouvoir à Marie de Médicis en 1610) ; les chausses que le peintre fait porter à Henri IV sont celles que les gentilshommes français devaient porter comme "costume de cérémonie" dans les années 1620. Leur forme est plus « classique », plus « traditionnelle » (plus « espagnole » !?) que les chausses présentées ci-dessus et dont les formes sont plus arrondies.
En Europe
Dans les pays habsbourgeois ou sous influence habsbourgeoise, la mode semble s'être figée sur la forme. Les trousses ont encore cet aspect vertical, plat et angulaire (image ci-contre).
Cette fixation des formes montre que les trousses sont aussi bien qu'en France en passe de devenir un costume d'apparat ou de cérémonie. Peut-être, était-ce déjà le cas depuis longtemps ?!
Epilogue
Dans les années trente, les trousses se portent toujours mais apparaissent moins dans l'iconographie.
La gravure d'Abraham Bosse intitulée Le Jardin de la noblesse françoise dans lequel se peut ceuillir leurs manières de vettements présente les deux façons de porter le haut-de-chausses en 1629 ; on y retrouve la, culotte longue (personnage de gauche) et les trousses accompagnées des canons (personnage de droite).
Dans le second quart du XVIIe siècle, les trousses se figent et deviennent un uniforme ou un vêtement de protocole.
C'est le cas des pages. La trousse devient la livrée des domestiques et va le rester pendant tout le XVIIe siècle. On la voît sur les illustrations des années 1630 (première image de gauche ci-dessous) comme celles des années 1690 (dernière image à droite).
Sur les portraits d'apparat des rois en costume de sacre (ci-dessous Louis XIII et Louis XIV).
Les trousses continuent également à être portées dans les grandes cérémonies officielles. Elles font partie de la tenue d'apparat des chevaliers de l'Ordre du Saint-Esprit.
Les trousses apparaissent sur l'image (ci-contre à gauche) dissimulées sous les épais manteaux de l'ordre.
Aussi voit-on Louis XIV et les membres de l'ordre du Saint Esprit les porter encore dans les années 1660, au cours d'une cérémonie (ci-dessous).
Article de 2013 modifié en 2014.
Culotte - XVIe siècle
Le haut-de-chausses
de type « culotte longue »
La culotte est un terme spécifique au XVIIIe siècle. Elle désigne à partir du règne de Louis XIV, un haut-de-chausses plutôt long, couvrant les cuisses jusqu'au-dessous du genou. Le modèle existait déjà à la Renaissance, mais n'était pas mentionné comme « culotte ».
Le mot lui-même était employé au XVIe siècle, mais ses occurences semblent assez peu nombreuses et surtout, il semble ne pas avoir la même signification 1. A la fin du siècle, il est employé dans la continuité du mot culot, ce haut-de-chausses très court qui s'arrête au niveau du fessier, le « cul » (en vogue sous Henri III). Cette origine étymologique explique que le terme « culotte » est encore employé au XVIIe siècle comme synonyme de trousse, c'est-à-dire comme chausse courte découpée en bande 2. Le terme a donc été utilisé à différentes époques pour désigner des coupes assez différentes les unes des autres.
Dans les années 1680, on parle encore de « culotte longue » 3, montrant qu'il y avait encore à cette date le besoin de préciser la dimension de la culotte pour la distinguer d'une autre, nécessairement plus courte : la trousse.
En posant cette distinction, je propose de considérer deux grandes catégories schématiques de hauts-de-chausses (image ci-dessus). La première se décrit comme une forme souple, plus ou moins déstructurée, tantôt bouffante, tantôt serrée, couvrant la cuisse jusqu'au-dessous du genou. La seconde présente une forme structurée, composite et découpée en bandes, qui s'arrête plus ou moins à mi-cuisse.
Evidemment, il existe bien d'autres formes de chausses qui ne rentrent pas dans cette répartition binaire et réductrice ; plusieurs type de hauts-de-chausses coexistent simultanément et évoluent de façon corrélée. Les frontières sont parfois si tenues que les formes semblent parfois se rejoindre. La culotte présente notamment des similarités avec le « pantalon » et la chausse à la marinière (sorte de pantalon court plus ou moins flottant).
Mais dans cet article, il ne sera traité que de la culotte allongée aux genoux. La présence des guillemets permettra de rappeler que l'utilisation du mot « culotte » reste problématique pour le XVIe siècle et le début du XVIIe.
Le haut-de-chausses est l'appellation générique employé à cette époque, mais selon les coutumes locales, les formes et les style adoptés, il existait différentes locutions pour les désigner. Certaines d'entre elles sont aujourd'hui perdues, d'autres sont sujettes à caution. Elles désignent parfois la culotte par ses particularités (culotte à gros plis), ou par des analogies (culotte en gigot, en bourse, ou en tuyaux d'orgue). Ce sont aussi des noms qui rappellent l'origine géographique, même si dans ce dernier cas en particulier, il est important de relativiser ces appellations qui ne sont pas forcément justifiées. Pour la culotte longue, on entend ainsi parler de chausse à la vénitienne.
1 - Délimitations chronologiques
Si l'enjeu de cet article est de présenter les différentes tendances de la « culotte longue », sa présentation est limitée à la période 1560 - 1660. Ce choix s’est imposé par l’enchaînement cohérent des formes qui se succèdent pendant ce laps de temps et par la disponibilité des sources iconographiques.
Des formes de chausses longues existaient déjà dans la première moitié du XVIe siècle. Les représentations des lansquenets suisses ou allemands en sont les illustrations les plus familières (image ci-contre : gravure de Sebald Beham, c. 1540) : ce sont des hauts-de-chausses composites, structurés en plusieurs parties multicolores, et découpés en bandes et à crevés multiples. Le panel de modèles existants est particulièrement riche, mais ce sont des formes très différentes de celles de la seconde moitié du siècle.
La culotte longue qui nous intéresse dans cet article présente une silhouette beaucoup plus simple. Ce qui la caractérise est sa forme indivise et non découpée, telle qu'elle se présente encore au XVIIIe siècle, soit bouffante, soit ajustée à la cuisse.
C'est dans les années 1560, à Venise qu'il faut en rechercher les premières illustrations. L'une d'elles, représentant un chasseur, a été peinte en 1562 par Paul Véronèse à la Villa Barbaro (en Vénétie) (image ci-contre). A partir de là, s'enchaîne une longue histoire de la « culotte » qui trouve son aboutissement au XIXe siècle.
Comme date terminus, le choix s'est porté sur les années 1650 qui constituent la période de transition pendant laquelle la culotte prend la forme d’une jupe, appelée à s’imposer dans les années 1660 sous le nom de rhingrave (image ci-contre : François Verwilt, Portret van een jongen, 1669, Rijksmuseum).
Le changement de forme est radical et ceci explique mon choix d'arrêter la présentation à cette date marquante. La mode de la rhingrave est suffisamment longue de plusieurs années pour justifier cette césure. Lorsque la culotte longue réapparait dans les circuits de la mode curiale, dans les années 1670 et 1680, c’est dans une nouvelle époque qu’elle s’inscrit.
2 - Considérations sociales
Les deux articles que je publie sont ainsi dédiés à la culotte longue des guerres de religion. Ils en parcourent les principales formes qui ont prévalues pendant un siècle. Là encore, je ne cherche pas à brosser le tableau de toute la société, mais à faire émerger les tendances d’un style prédominant, qui est généralement celui de la mode aristocratique et en particulier celui de la mode curiale.
On ne peut toutefois exclure d'ignorer les autres corps sociaux, car la culotte longue est un vêtement populaire, porté par le « commun ». Du point de vue de l'histoire sociale, la culotte longue apparaît comme le vêtement alternatif aux trousses qui est son concurrent, plus noble et plus « habillé ».
Au XVIIe siècle, l'usage de la « culotte » est partagée par toutes les couches de la société. Elle apparaît souvent dans les portraits ou peintures de genre qui mettent en scène des gens du peuple (image ci-contre : Georges de la Tour, Old man, c. 1618-19, Fine Arts Museums of San Francisco).
On la retrouve aussi beaucoup sur les gravures représentant des scènes de guerre. Au XVIe siècle, les militaires portent la culotte longue et bien que, soldats, ils ne sont pas exempts de la vanité à la porter selon la mode du temps, même s'il existe toujours un décalage de style entre la mode raffinée de la cour et celle de l'armée.
A cause de cet emploi populaire, les images de culotte longue se retrouve beaucoup moins sur les portraits nobiliaires jusqu'à ce que la tendance s'inverse dans le premier quart du XVIIe siècle. On assiste dans les années 1600-1620 à un inversement de la hiérarchie opposant culotte et trousse. Dans les années 1630, les nobles portent la culotte longue, alors que la trousse est reléguée comme vêtement de protocole, et livrée des domestiques.
3 - Typologies des formes
Cette appropriation de la culotte longue par la noblesse explique qu'on assiste à une évolution continue de ses formes, au fur et à mesure de son intégration à la mode aristocratique.
Deux formes de culottes prédominent successivement durant cette longue période : la chausse à la gigotte, pour le XVIe siècle et son opposé, la chausse en bourse pour le XVIIe siècle. La mode fonctionne par trangression des styles et par opposition des formes. A la chausse serrée et moulante, s'oppose également la chausse bouffante en tuyau d'orgue, ou à gros plis. Et à la chausse soigneusement boutonnée et maintenue par une jarretière, s'oppose la chausse ouverte aux genoux qui donnera naissance à la rhingrave. Toutes ces locutions appartiennent à la même famille. Elles désignent des formes de « culotte longue » dont elles ne sont que des sous-catégories.
Les années 1560
Les années 1560 constituent la période où la culotte longue apparaît sous une forme plutôt ample et souple. C'est la ligne qui habille le chasseur peint en 1562 par Paul Véronèse à la Villa Barbaro (en Vénétie).
Le vêtement paraît facile à enfiler, et aisé à porter au quotidien. C'est la raison pour laquelle, il est employé dans les activités sportives comme la chasse.
L'origine de cette forme est peut-être à rechercher dans les vêtements longs que les marins portent dans une longueur variant entre le mi-mollet et les chevilles : la chausse à la marinière (