04 février 2008

Le haut-de-chausses

Les chausses sont les éléments du costume masculin qui habillent la partie inférieure du corps, des hanches jusqu'aux pieds. Ce sont en quelques sortes les bas du moyen âge.

Pour le XVIe et XVIIe siècles, le mot haut-de-chausses désigne la partie supérieure des chausses.

Au cours de son évolution, le haut-de-chausses se décline sous plusieurs formes. Nous n'entrerons pas dans le détail des appellations ; le sujet reste encore très incertain. Mais, par souci de clarté, on peut ranger le haut-de-chausses en deux catégories  :

- les chausses rembourrées et structurées allant à mi-cuisse et qui sont très souvent formées de bandes ou de crevés ; c'est le type de haut-de-chausses qu'on associe le plus couramment à la noblesse. Selon les formes rencontrées, on le désigne par les mots grègues, culot, lodier, boulevard et trousses.

galerie_d_evolution_trousses_1550_1600

 

- les chausses recouvrant les cuisses de la ceinture aux genoux (au-dessus ou en-dessous) et qui présentent le plus souvent un ensemble plutôt lâche et non structuré ; pour les désigner, on utilise selon les formes, les mots chausse à la gigotte, chausse bouffante, chausse à gros plis, chausse en bourse, et culotte. Au XVIIe siècle, elles supplantent les trousses.

evolution_de_la_culotte_1560_1630

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Les origines

Début du XVIe siècle

 

tapisserie de Maximilien vers 1530 2tapisserie de Maximilien vers 1530 1Le haut-de-chausses est une mode qui s'est particulièrement développée dans l'espace germanique.

A son commencement, il ne se différenciait du bas-de-chausses que par la couleur ou la présence des crevés (petites entailles parallèles qui laissent entrevoir l'étoffe blanche) :

Les bas-de-chausses tenaient alors avec des jarretières :

 

 

 

Charles QuintLe haut-de-chausses pouvaient également être composé de petits bourrelets superposés (eux-aussi décorés de crevés).

Exemples ci contre avec le portrait de Charles Quint et ci-dessous :

 

23018315

 Saie d' Anne de Montmorency vers 1530Sous François Ier, les balbutiements de ce type de haut-de-chausses sont contrebalancés par la saie, sorte de tunique qui descend en plis au-dessus des genoux. 

 

 

 

  

C'est une mode qui vient des paletots (ou jaquettes) que les hommes portaient sous Louis XII :

Paletots Louis XII et François Ier

La saie se présente comme une tunique composée d'une jupe à tuyaux. Elle est généralement ouverte sur la poitrine, formant une sorte de "v" ou de "u" qui descend jusqu'à la ceinture.

Elle cache par ses plis tuyautés, les chausses que les hommes portent en dessous. En revanche, elle laisse découvrir la proéminente braguette qui caractérise cette époque.

Les saies dans les portraits de Dinteville et Henri VIII

 François Ier par Clouet

On retrouve la saie sur le fameux portrait de François Ier peint par Clouet vers 1527. Entre la chamarre et le pourpoint chatoyants du monarque, elle apparaît difficilement au premier coup d'oeil du spectateur :

On peut la voir reconstituée sur le montage que j'ai présenté sur un autre blog.

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Les années 1540

 

La mode masculine des années 1540 est marquée par la mise en valeur du haut-de-chausses. La jupe masculine (la saie) est raccourcie. La tendance de l'époque l'a progressivement rendu désuète. Le lourd manteau ne tombe plus en-dessous des genoux et les basques du collet (partie inférieure située sous la ceinture) sont raccourcies. Au niveau inférieur de l'habit, l'attention se porte désormais sur le haut-de-chausses.

1540v2

J_Nord_italian_c1545_Alessandro_alberti_with_a_page_NGA - Copie S'il existe une variété importante de haut-de-chausses du point de vue de la composition formelle, celui qui prédomine sur les portraits est celui constitué de bandes verticales et d'une étoffe bouffante qui le rembourre de l'intérieur. Les bandes sont relâchées, permettant à la précieuse et délicate étoffe d'être exhibée à travers les larges ouvertures laissées entre les bandes (image ci-contre : Anonyme italien, Portrait d'Alessandro Alberti et de son page, détail, c. 1545,  National Gallery of Art).

L'exhibition de l'étoffe à travers les bandes est ce qui caractérise les années 1540.

 

 

 

 

Les années 1550

 

Au milieu du siècle, la mode masculine est marquée par la mise à nue des cuisses. Le haut-de-chausses se présente très court et laisse à découvert une très grande partie des membres inférieurs. La tendance se constate sur les portraits des années 1540, mais prédomine au milieu du siècle. Le haut-de-chausses devient sobre, tant par sa taille que par sa composition. Par opposition à la mode précédent, l'étoffe intérieure se fait plus discrète.

Dans cette recherche, la mode semble abandonner le style exubérant des hauts-de-chausses composites, à bandes mutilples et à sens variées.

La silhouette générale est allongée. L'ensemble, jambe et cuisse mises à nue et l'abaissement de la ceinture qui allonge le torse contribue à cette ligne verticale que vient contrebalancer le manteau.

Cette ligne est partagée par les grandes cours européennes. Elle habille le roi Henri II et les princes de sa famille sur les portraits du début des années 1550 (première ligne de portraits ci-dessous) et se retrouve, à la même période, sur les portraits des princes de la maison de Habsbourg (deuxième ligne de portraits représentant le futur empereur Maximilien et son cousin le futur Philippe II d'Espagne).

France_1550-1555

Habsbourg_1550-1555

 

****

Evolution de la tendance

 

Henri_IV_enfantSur ces deux portraits présumés d'Henri de Navarre (ci-contre à gauche), futur roi Henri IV (1553-1610), apparaissent deux modes complètement opposées. Le portrait de gauche appartient tout entier à l'ancienne mode. Le haut-de-chausses représenté est celui qui était tendance durant les années 1530-1540.

Le second portrait à droite, traditionnellement daté de 1557, appartient au nouveau style (que ce soit au niveau du pourpoint ou des haut-de-chausses). Le jeune prince porte les chausses découpées en bandes, avec un ballonnement prononcé de tissu blanc qui en fait toute son originalité. C'est ce ballonnement qui sera à l'origine des formes hypertrophiées des années 1560.

 

Henri II ,fin des années 1550Cette tendance se retrouve sur le portrait d'Henri II de France par François Clouet.

En le comparant avec les portraits vu précédemment, peut s'observer un volume légèrement plus important. Les bandes semblent plus larges et bien qu'elles soient relativement détendues, l'ensemble présente un léger ballonnement (image ci-contre).

 

 

Cette tendance se retrouve sur les portraits des autres cours européennes ; le haut-de-chausses grossit en taille :

Les années 1550 - Europe

 

Les années 1560

 

trunkhose from 1562La mode des années soixante amplifie les tendances apparues pendant la décennie précédente : accroissement et extension (au niveau des dimensions), ballonnement (au niveau de la forme), et dédoublement des bandes (au niveau de la composition). 

En se développant, le haut-de-chausses réagit en symétrie à l'hypertrophie des mancherons qui était de mise sous François Ier. Les trousses focalisent les regards au niveau des cuisses, à l'opposé de la mode ancienne qui mettait l'accent sur les épaules. Entre la génération des années trente et celle des années soixante, le changement de ligne est radical. Elle fait de la trousse la pièce maîtresse de l'habit masculin.

 

Le dévDe_Vries_1568eloppement du haut-de-chausses a pour conséquence son accroissement en volume et son extension le long du corps.

La trousse double son volume et dépasse désormais le milieu de la cuisse. Elle retombe au-dessus du genou avec une contenance accrue.

C'est la principale évolution des années soixante : un rembourrage plus important.

Ce gonflement a pour effet le dédoublement des bandes qui forment la partie extérieure du haut-de-chausses. Dans les années quarante, les trousses sont formées de quatre bandes verticales de taille assez large et plutôt relachées.

Début des années 1560 - Les frères ColignyAvec la tendance au ballonnement, les bandes sont plus petites et plus nombreuses. De quatre bandes, le haut-de-chausses passent à une vingtaine.

 

Forme sphériqueCe qui caractérise également le style des années soixante c'est sa forme quasi-sphérique. Cette tendance apparaissait déjà dans les années cinquante. Mais avec le renforcement du rembourrage, le haut-de-chausses apparaît comme deux énormes ballons.

Sa taille fait presque oublier la proéminente braguette. Celle-ci disparaît déjà entre les bandes. Bientôt, elle sera passée de mode et laissée au placard. C'est la dernière génération à la porter. Ceux qui l'avaient exhibé dans leur jeunesse, vont bientôt la désavouer. Michel de Montaigne en parle, s'étonnant qu'il ait pu lui-même par le passé céder à cette tendance en train de devenir ridicule.

Ce qui donne désormais de la virilité à l'homme, c'est - avec la moustache - la grosseur de ses chausses. Serait-il outrancier de dire qu'une concurrence semble s'établir pour celui qui a les plus volumineuses ?!

Au cours de la seconde moitié des années 1560, le haut-de-chausses atteint son extension maximale. Il est si volumineux que les hommes peuvent y cacher des outils, des livres, et des armes. Dans le contexte des guerres de religion, le haut-de chausses devient l'icone d'une période dominée par les affrontements. Le portrait ci-contre en est l'illustration. J'ai souhaité souligner par un cercle bleu la forme ovale du vêtement, mais ce qui apparaît finalement au premier regard, c'est la dague placée à l'intérieur. De 1565 à 1570 - Europe

 

Trousses de la deuxième moitié des années 1560

 

 

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04 février 2013

Les années 1570

 

 En France

 

La principale évolution des années 1570 réside dans le rétrécissement des trousses. Par opposition aux formes hypertrophiées des années 1560, la mode revient à des tailles beaucoup plus courtes. L'évolution est assez perceptible sur les portraits français, entre la première moitié de la décennie et la seconde.
 

1570 France

 

1572 trapèzeLa deuxième tendance générale de la décennie est le changement de forme. Par réaction aux lignes rondes et ovales des années 60, les trousses s'aplatissent et prennent une forme trapézoïdale. C'est la mode de la chausse en bourse. La chausse n'est rembourrée que dans sa partie inférieure.

Cette tendance s'observe sur les portraits avec des assimilations différentes, mais se confirme au fur et à mesure que les trousses se réduisent en taille. Il y a un processus de structuration du haut-de-chausses.

 

 

 

  Années 1570-1575

portraits_francais_c1570-1575v3

 

Henri, duc d'Anjou vers 1570Sur ce dessin de la fin du règne de Charles IX, époque de la Saint-Barthélemy, le duc d'Anjou (futur Henri III) porte, sous son armure, des trousses qui ont la forme trapézoïdale caractéristique de cette époque.

En-dessous de ces trousses, il porte au niveau des cuisses, une sorte de culotte plissée assez moulante. C'est ce qu'on appelle le canon.

Les bas-de-chausses sont tenus par des jarretières.

 

 

 

 

 

 

 

 

  Années 1575-1580

 

hauts-dechausseSur les portraits de la seconde moitié de la décennie, le haut-de-chausses se réduit de manière considérable. Il est à noter qu'il conserve sa forme trapézoïdale.

Son fond devient complètement plat et semble même se creuser. Le bord inférieur se plie et rebique légèrement, donnant au haut-de-chausses un effet aérien (ce qui le différencie du haut-de-chausses des années 1540 qui est court comme lui, mais qui a une forme allongée et qui épouse la forme des cuisses).

 

Portraits français vers 1575-1580

 

La Femme entre les deux âges vers 1575, RennesTapisserie des années 1570Le haut-de-chausses peut se présenter dans des dispositions de matières différentes. Dans le tableau de la Femme entre deux âges (vers 1575), le jeune homme est habillé d'un haut-de-chausses en satin qui n'est pas recouvert de bandes (image ci-contre à gauche).

 

 

 

 

 

En Europe

 

La mode de la chausse en bourse de forme trapézoïdale touche toute l'Europe occidentale et impériale. Là aussi, la tendance est au raccourcissement de la chausse. 

Europe années 1570

 

Les gravures montrent la taille et la forme du début de la décennie (1570-1575). 

Estampe_v1570-1575

extrait de TraTrattato sul maneggio delle armi

 

Les figures colorées d'hommes en armes présentées ci-dessus sont tirées d'un traité sur le maniement des armes (Trattato sul maneggio delle armi), un ouvrage italien dédicacé au roi Henri III vers le milieu des années 1570 (le manuscrit est conservé à la Bibliothèque nationale de France). Elles offrent sur les chausses une série de point de vue différents.

comparaison des modes (années 1570)Même si les figures portent toutes un habit identique, on peut remarquer quelques différences au niveau de la toque, et du haut-de-chausses.  Dans les chausses, la forme prédominante est celle de la chausse en bourse. Mais on y trouve aussi le style plus classique, celui qui épouse la forme des cuisses. C'est la tendance de la génération précédente, celle du milieu du siècle, désormais désuète, mais probablement plus adaptée pour une pratique sportive. 

L'image ci-contre montre les deux formes juxtaposées : l'une allongée le long des cuisses qui est la forme obsolète et l'autre rembourrée en bourse, qui fait la mode du moment.

Comme toutes le formes ringardes, cette forme aplatie sera remise à la mode selon une nouvelle configuration.

 

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Les années 1580

 
 

En France

 

Le haut-de-chausses se porte très court durant toute la décennie 1580.

La première tendance identifiable est le phénomène d'aplatissement. Le haut-de-chausses des années 70 avait une découpe trapézoïdale avec un fond plat et des bords saillants (première figure à gauche ci-dessous). Celui des années 80 adopte une silhouette plus discrète. Il se rabat sur les hanches dont il semble presque épouser la forme. Son volume est aplati (figure ci-dessous à droite).

Comparaison des modes 1579-1589

 

Ce phénomène d'aplatissement se remarque bien sur les costumes des scènes de bal peintes sous Henri III (images ci-dessous). Le haut-de-chausses paraît presque s'enrouler autour de la cuisse des gentilhommes.

Cette forme étroite et aplatie explique peut-être la nécessité qu'ont eue les hommes de porter sur les cuisses, des chausses longues et étroites, allant jusqu'au genou : les canons. La mode d'associer les deux vêtements n'est pas nouvelle mais elle semble se confirmer dans les années 80. Sur les images ci-dessous, les canons sont tailladés d'une multitude de petits crevés parallèles. C'est une réminiscence des années 1530 (voir le portrait de Charles Quint plus haut).

Scènes de bal à la cour des Valois

Scène de bal à la cour des ValoisLe haut-de-chausses est si court que placé sur les hanches comme il est, il laisse le bas des fesses à découvert. Cela explique probablement l'appellation qu'on lui donne à cette époque : le culot 1.

Si le gentilhomme ne porte pas de canons (comme sur l'illustration à gauche), le bas fait apparaître de façon moulante les formes galbées des fesses.

Sur le devant, la proéminente braguette de l'ancienne mode a laissé la place à une coquille. 

Le culot est indissociable de la silhouette générale du costume ; le haut-de-chausses s'encastre comme une pièce de puzzle sous le pourpoint qui déborde en pointe vers le bas de façon proéminente ; c'est le pourpoint à panseron. Resserré à la taille, mais boursouflé en pique sur le devant, le pourpoint donne au buste de l'homme une allure de guêpe que vient renforcer la forme tassée et étroite du haut-de-chausses.

Courtisans dans un jardin, par Francken IContrairement à ce que les scènes de bal peuvent laisser penser, ce n'est pas un habit réservé aux soirées dansantes, ni un costume de carnaval. L'image ci-contre peinte par le flamand Hieronymus Francken, émigré à Paris, montre ces mêmes gentilhommes en « habit du dimanche », dans un jardin d'agrément (ci-contre).

Avec le pourpoint à panseron, le culot entre dans cette catégorie de vêtements fantaisistes, dont le caractère stylé nous échappe aujourd'hui, mais qui, à l'époque, faisait la classe du gentilhomme élégant.

La même pièce apparaît sur les costumes sombres et austères imposés par Henri III à sa cour. Le roi avait fixé des règles très strictes en matière d'étiquette et les courtisans devaient s'y conformer sous peine d'amendes2. Le culot s'aperçoit sous la ceinture, tantôt sans canons, tantôt avec des canons (figures de gauche et de droite ci-dessous).

Habits de la cour d'Henri III

 

 Marchand parisienColporteur vers 1590Cette mode est également adoptée par les gens  du peuple. Vous en avez des exemples sur les illustrations ci-contre, avec un marchand parisien (à gauche) et un colporteur (à droite)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 En Angleterre

 

On retrouve la même mode en Angleterre.

Anglais années 1580

 

 

Les années 1590

 

 En France

 

La principale évolution des années 1590 réside dans l'agrandissement des trousses. La mode revient à des tailles qui rappellent les tendances des années 1570-1575 (renouvellement cyclique de la mode).

 

1590 france

 

Les trousses adoptent une ligne rectangulaire (par opposition à la forme ronde des années 1560, devenue complètement désuette). Cette nouvelle ligne s'explique par la platitude du haut-de-chausses qui n'est pas ou peu ballonné. Dans la continuité des années 1580, le culot reste relativement plat, ce qui le rend différent de celui porté avec les mêmes dimensions dans les années 1570.

Henri IV vers 1600

Henri IV

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les trousses apparaissent souvent sous une forme souple et bouffante.

Hommes années 1590

 

 

 

 

 

 

 

Portraits d'Henri de Guise (portrait posthume des années 1590 ?) et portrait d'Henri IV vers 1600

Le premier porte des trousses en tissu souple et bouffant ; le second est habillé de façon plus solennelle et porte des trousses formées de plusieurs bandes resserrées.

ddf

 

 

En Angleterre

 

La mode anglaise n'étant pas très différente de la mode française, l'observation des portraits anglais s'avère très utile pour saisir les différentes facettes du haut-de-chausses français. Comme en France, les trousses ont tendance à se présenter sous une forme bouffante, mais ce que revèle particulièrement bien le portrait anglais, c'est qu'elles se portent souvent par-dessus des canons (sortes de bas qui recouvrent les cuisses). C'est une constante sur les portraits anglais, mais c'est une mode que l'on le retrouve également en France.

 

The Browne Brothers - 1598, Isaac OliverPortrait d'un garçon - 1596, Robert Peake

 

La suite de portraits présentée ci-dessous montrent l'agrandissement des chausses au fil des années et comme en France, elles gardent une forme rectangulaire.

Portraits anglais des années 1590

Robert Radcliffe - 1593Il existe également un type de haut-de-chausses particulier, couvrant d'un seul tenant le haut des cuisses, y compris au niveau de l'enfourchure. Ce serait ce qu'on appelle le boulevard (ou boulevart), autrement dit la pièce qui fait tout le tour du bassin sans interruption.

Le boulevard trouve peut-être son origine dans l'habillement militaire. On le voit sur les portraits représentants des jouteurs (image ci-contre) et il est mentionné pour cette fonction au XVe siècle.

Sa taille et sa forme suivent la mode des années 1590 : allongement sur les cuisses et mise en forme rectangulaire(exemple d'évolution avec les deux portraits ci-dessous).

Boulevard années 1590

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En Europe espagnole

Ce sont dans les pays sous influence espagnole que se perçoit le mieux l'allongement de la forme des trousses. Cette tendance va se développer partout en Europe dans les années 1600, preuve semble t-il du maintien de l'influence de l'Espagne sur la mode.

Portraits espagnols 1590-1599

 


Notes

1. Edmond Huguet, Dictionnaire de la langue française du 16e siècle, 1934.

2. Jacqueline BOUCHER, Société et mentalités autour de Henri III, Paris, Honoré Champion, coll. « Bibliothèque littéraire de la Renaissance », 2007. Et sur l'étiquette à la cour de France, voir également Monique CHATENET.

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12 juin 2014

XVIIe siècle (trousses)


Les trousses continuent de se porter au XVIIe siècle, bien qu'elles soient fortement concurencées par la culotte bouffante. Tendance d'une mode curiale, elles finissent par se figer comme vêtement de cérémonie et, à partir des années 1620, à tomber en désuétude. Une importante distinction peut être faite entre la mode espagnole qui règne en Europe et la mode française.

 

Les années 1600

 

En France

 

Henri IV, années 1600Dans le prolongement de la décennie précédente, les chausses continuent de s'agrandir. Elles suivent la mode espagnole en s'allongeant vers le bas, dépassant le milieu de la cuisse.

Sur le portrait ci-contre, le roi Henri IV porte une sorte de boulevard (chausse faite d'un seul tenant). Conformément à l'évolution de la tendance, sa forme est désormais plus haute que large.

L'évolution des trousses montre clairement que la mode à la cour d'Henri IV prend le contrepied des modes en vogue sous Henri III. De cette opposition des tendances, certains historiens en ont conclu hâtivement qu'il sagissait pour les contemporains d'Henri IV de réagir contre le style de vie du dernier Valois et de sa cour et d'affirmer que celle d'Henri IV était moins décadente que celle de son prédécesseur. C'est quand même rester prisonnier des clichés un peu facilement, et sous-estimer les logiques propres à la mode.


 

Gravures françaises 1602-1610

 

 

En Angleterre 

L'évolution des formes est perceptible sur la suite chronologique de portraits présentée ci-dessous : les trousses passent d'un format horizontal à un format vertical.

Portraits anglais, 1600-1606

 

 En Espagne

Au début du XVIIe siècle, l'empire espagnol reste une puissance de valeur sûre ; l'âge d'or se poursuit, en particulier dans les arts. L'influence de la mode espagnole sur l'Europe en est l'illustration. La forme très verticale des trousses s'y constate de façon précoce.

Portraits espagnols vers 1600-1605

 

 En Italie

La tendance à l'allongement des chausses est portée à son paroxysme en Italie, pays alors dominé par les Espagnols ; les trousses descendent quasiment aux genoux.

Portraits italiens, années 1603-1609

 

 

 

Les années 1610

 

En France

 

Les années 1610 sont dominées par le port de la grande culotte bouffante. Les trousses se portent toujours, mais sur le plan iconographique, elles apparaissent moins fréquemment que la culotte. L'image qui représente ci-dessous le jeune roi Louis XIII l'illustre bien. De tous les personnages qui composent sa suite, il est le seul à porter des trousses ; les cavaliers qui le suivent, portent tous, la culotte bouffante.

Déjà fortement marquées socialement, les trousses prennent une valeur de plus en plus cérémoniale. A l'origine mondaines et nobles, elles se limiteraient progressivement à une utilisation protocolaire ; sur le plan de la mode courante, c'est le parcours classique de beaucoup de vêtements en fin de "vie".

Pour un autre aperçu "statistique", voir la série de gravures de Merian, intitulée L'ordre tenu au marcher parmy la ville de Nancy capitale de Lorraine à l'entrée en icelle du serenissime prince Henry II : nobles, bourgeois, gens de justice (liens vers Gallica).

 

Louis XIII et sa cour

 

Sur la forme, les trousses reviennent à une silhouette trapézoïdale. C'est un retour en arrière. Après l'extension vers le bas des années 1600, les trousses repassent à une forme horizontale qui rappellent les trousses portées 15 ans plus tôt (voire même 40 ans plus tôt). C'est symptomatique des effets cycliques de la mode : les trousses des années 1610 sont une réminescence des années 1590, elles-mêmes réminescences des années 1570.

français années 1610

 

Le jeune roi Louis XIII porte sur les portraits ci-dessous des trousses constituées de larges bandes espacées, présentant une doublure bouffante, comme en portent traditionnellement les gardes suisses. Dans le cas présent, il s'agit semble t-il d'une fausse doublure à crevés, sous laquelle se trouve une autre doublure qui est vraie cette fois-ci. Système illusionniste qui montre l'ingéniosité des modistes de la cour pour moderniser les modèles anciens.

 

L) Louis XIII, 1611

 

Le Mariage de Louis XIIIEn revanche, sur le portrait de son mariage (image ci-contre), Louis XIII porte des trousses plus traditionnelles. Leur forme allongée rappelle celle de la décennie précédente. Les chausses sont plus hautes que larges et les cuisses sont en grande partie recouvertes.

L'image est une oeuvre de Jean Chalette. Elle a été commandée par les dignitaires de la ville de Toulouse, pour commémorer les noces du roi avec l'infante Anne d'Autriche en 1615. L'illustration témoigne du passage progressif de ce type de haut-de-chausses à une utilisation solennelle, cérémoniale, ou protocolaire. Elle témoigne aussi peut-être du maintien de l'influence espagnole en matière de mode.

 

 En Angleterre

 La mode revient également à des tailles plus courtes et des formes plus trapézoïdales.

Trousses anglaises années 1610

 

 En Europe du sud

Sur les portraits d'Espagne et d'Italie, la mode des chausses à la ligne verticale perdure.

Trousses espagnoles et italiennes années 1610

 

 

 

Les années 1620


En France

 

Dans les années 1620, les trousses se portent toujours. Les gravures de Crispin de Passe (images ci-dessous) en sont de très belles illustrations ; les gentilshommes de Louis XIII y sont représentés avec des chausses  bouffantes ou à bandes, dans des tailles qui ne dépassent pas le milieu de la cuisse. Ces gravures montrent que dans les années 1620, les trousses ne sont pas encore tout à fait passées de mode et qu'elles connaissent peut-etre à cette époque un dernier regain (par opposition aux grandes culottes bouffantes devenues par trop populaires dans les années 1610 ?).

Cour de Louis XIII vers 1620-1625

 

Par opposition à la mode espagnole, les trousses françaises gardent leur forme horizontale. L'arrête inférieure est plus arrondie et la doublure davantage rembourée ; ces dispositions donnent à la chausse une silhouette plus courbe et plus convexe (image ci-dessous).

Chausses du maréchal d'Albret vers 1620

 

Henri IV par RubensLorsque dans les années 1620, le peintre Rubens représente le roi Henri IV dans sa série de tableaux sur la vie de Marie de Médicis (image ci-contre), il fait porter à l'ancien roi des trousses dont la forme « habillée » relève plus du costume solennel que de la mode courante : la silhouette de ses chausses est carrée, le fond est plat, et comme dans les années 1600, sur le plan de la taille, le milieu des cuisses est dépassé.

Rubens n'est pas un historien ; il ne cherche pas à reconstituer la mode d'une époque (la scène représente sous une forme allégorique la transmission du pouvoir à Marie de Médicis en 1610) ; les chausses que le peintre fait porter à Henri IV sont celles que les gentilshommes français devaient porter comme "costume de cérémonie" dans les années 1620. Leur forme est plus « classique », plus « traditionnelle » (plus « espagnole » !?) que les chausses présentées ci-dessus et dont les formes sont plus arrondies.

 

 

 En Europe

 

Emmanuel Philibert de Savoie en 1624Dans les pays habsbourgeois ou sous influence habsbourgeoise, la mode semble s'être figée sur la forme. Les trousses ont encore cet aspect vertical, plat et angulaire (image ci-contre).

Cette fixation des formes montre que les trousses sont aussi bien qu'en France en passe de devenir un costume d'apparat ou de cérémonie. Peut-être, était-ce déjà le cas depuis longtemps ?!

Europe années 1620v2

 

 

 

Epilogue

 

Dans les années trente, leChausses et trousses en 1629s trousses se portent toujours mais apparaissent moins dans l'iconographie.

La gravure d'Abraham Bosse intitulée Le Jardin de la noblesse françoise dans lequel se peut ceuillir leurs manières de vettements présente les deux façons de porter le haut-de-chausses en 1629 ; on y retrouve la, culotte longue (personnage de gauche) et les trousses accompagnées des canons (personnage de droite).

Dans le second quart du XVIIe siècle, les trousses se figent et deviennent un uniforme ou un vêtement de protocole.

C'est le cas des pages. La trousse devient la livrée des domestiques et va le rester pendant tout le XVIIe siècle.  On la voît sur les illustrations des années 1630 (première image de gauche ci-dessous) comme celles des années 1690 (dernière image à droite).

Valets années 1630Valets années 1660

Valets années 1660

 1692_Largillere_James Francis Edward Stuart, Prince of Wales2 - Copie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sur les portraits d'apparat des rois en costume de sacre (ci-dessous Louis XIII et Louis XIV).

Louis XIII et Louis XIV

 

Henri_d'Orléans_Duc_de_LonguevilleLes trousses continuent également à être portées dans les grandes cérémonies officielles. Elles font partie de la tenue d'apparat des chevaliers de l'Ordre du Saint-Esprit.

Les trousses apparaissent sur l'image (ci-contre à gauche) dissimulées sous les épais manteaux de l'ordre.

Aussi voit-on Louis XIV et les membres de l'ordre du Saint Esprit les porter encore dans les années 1660, au cours d'une cérémonie (ci-dessous).

Louis XIV 1660

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Article de 2013 modifié en 2014.

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15 mars 2019

Culotte - XVIe siècle

Le haut-de-chausses

de type « culotte longue »

 

La culotte est un terme spécifique au XVIIIe siècle. Elle désigne à partir du règne de Louis XIV, un haut-de-chausses plutôt long, couvrant les cuisses jusqu'au-dessous du genou. Le modèle existait déjà à la Renaissance, mais n'était pas mentionné comme « culotte ».

Le mot lui-même était employé au XVIe siècle, mais ses occurences semblent assez peu nombreuses et surtout, il semble ne pas avoir la même signification 1. A la fin du siècle, il est employé dans la continuité du mot culot, ce haut-de-chausses très court qui s'arrête au niveau du fessier, le « cul » (en vogue sous Henri III). Cette origine étymologique explique que le terme « culotte » est encore employé au XVIIe siècle comme synonyme de trousse, c'est-à-dire comme chausse courte découpée en bande 2. Le terme a donc été utilisé à différentes époques pour désigner des coupes assez différentes les unes des autres.

Dans les années 1680, on parle encore de « culotte longue » 3, montrant qu'il y avait encore à cette date le besoin de préciser la dimension de la culotte pour la distinguer d'une autre, nécessairement plus courte : la trousse.

 

Culotte longue et culotte courte

En posant cette distinction, je propose de considérer deux grandes catégories schématiques de hauts-de-chausses (image ci-dessus). La première se décrit comme une forme souple, plus ou moins déstructurée, tantôt bouffante, tantôt serrée, couvrant la cuisse jusqu'au-dessous du genou. La seconde présente une forme structurée, composite et découpée en bandes, qui s'arrête plus ou moins à mi-cuisse.

EvidemmeCulotte vs troussesnt, il existe bien d'autres formes de chausses qui ne rentrent pas dans cette répartition binaire et réductrice ; plusieurs type de hauts-de-chausses coexistent simultanément et évoluent de façon corrélée. Les frontières sont parfois si tenues que les formes semblent parfois se rejoindre. La culotte présente notamment des similarités avec le « pantalon » et la chausse à la marinière (sorte de pantalon court plus ou moins flottant).

Mais dans cet article, il ne sera traité que de la culotte allongée aux genoux. La présence des guillemets permettra de rappeler que l'utilisation du mot « culotte » reste problématique pour le XVIe siècle et le début du XVIIe.

Le haut-de-chausses est l'appellation générique employé à cette époque, mais selon les coutumes locales, les formes et les style adoptés, il existait différentes locutions pour les désigner. Certaines d'entre elles sont aujourd'hui perdues, d'autres sont sujettes à caution. Elles désignent parfois la culotte par ses particularités (culotte à gros plis), ou par des analogies (culotte en gigot, en bourse, ou en tuyaux d'orgue). Ce sont aussi des noms qui rappellent l'origine géographique même si dans ce dernier cas en particulier, il est important de relativiser ces appellations qui ne sont pas forcément justifiées. Pour la culotte longue, on entend ainsi parler de chausse à la vénitienne.

 

1 - Délimitations chronologiques

 

Si l'enjeu de  cet article est de présenter les différentes tendances de la « culotte longue  », sa présentation est limitée à la période 1560 - 1660. Ce choix s’est imposé par l’enchaînement cohérent des formes qui se succèdent pendant ce laps de temps et par la disponibilité des sources iconographiques.

Beham, un lansquenet, vers 1530-40Des formes de chausses longues existaient déjà dans la première moitié du XVIe siècle. Les représentations des lansquenets suisses ou allemands en sont les illustrations les plus familières (image ci-contre : gravure de Sebald Beham, c. 1540) : ce sont des hauts-de-chausses composites, structurés en plusieurs parties multicolores, et découpés en bandes et à crevés multiples. Le panel de modèles existants est particulièrement riche, mais ce sont des formes très différentes de celles de la seconde moitié du siècle.

Veronèse, Villa Barbaro, 1562La culotte longue qui nous intéresse dans cet article présente une silhouette beaucoup plus simple. Ce qui la caractérise est sa forme indivise et non découpée, telle qu'elle se présente encore au XVIIIe siècle, soit bouffante, soit ajustée à la cuisse.

C'est dans les années 1560, à Venise qu'il faut en rechercher les premières illustrations. L'une d'elles, représentant un chasseur, a été peinte en 1562 par Paul Véronèse à la Villa Barbaro (en Vénétie) (image ci-contre). A partir de là, s'enchaîne une longue histoire de la « culotte » qui trouve son aboutissement au XIXe siècle.

La culotte en rhingrave (1669)Comme date terminus, le choix s'est porté sur les années 1650 qui constituent la période de transition pendant laquelle la culotte prend la forme d’une jupe, appelée à s’imposer dans les années 1660 sous le nom de rhingrave (image ci-contre : François Verwilt, Portret van een jongen, 1669, Rijksmuseum).

Le changement de forme est radical et ceci explique mon choix d'arrêter la présentation à cette date marquante. La mode de la rhingrave est suffisamment longue de plusieurs années pour justifier cette césure. Lorsque la culotte longue réapparait dans les circuits de la mode curiale, dans les années 1670 et 1680, c’est dans une nouvelle époque qu’elle s’inscrit.

 

2 - Considérations sociales

 

Les deux articles que je publie sont ainsi dédiés à la culotte longue des guerres de religion. Ils en parcourent les principales formes qui ont prévalues pendant un siècle. Là encore, je ne cherche pas à brosser le tableau de toute la société, mais à faire émerger les tendances d’un style prédominant, qui est généralement celui de la mode aristocratique et en particulier celui de la mode curiale. 

Georges de la Tour, Old manOn ne peut toutefois exclure d'ignorer les autres corps sociaux, car la culotte longue est un vêtement populaire, porté par le « commun ».  Du point de vue de l'histoire sociale, la culotte longue apparaît comme le vêtement alternatif aux trousses qui est son concurrent, plus noble et plus « habillé ».

Au XVIIe siècle, l'usage de la « culotte » est partagée par toutes les couches de la société. Elle apparaît souvent dans les portraits ou peintures de genre qui mettent en scène des gens du peuple (image ci-contre :  Georges de la Tour, Old man, c. 1618-19, Fine Arts Museums of San Francisco).

On la retrouve aussi beaucoup sur les gravures représentant des scènes de guerre. Au XVIe siècle, les militaires portent la culotte longue et bien que, soldats, ils ne sont pas exempts de la vanité à la porter selon la mode du temps, même s'il existe toujours un décalage de style entre la mode raffinée de la cour et celle de l'armée.

A cause de cet emploi populaire, les images de culotte longue se retrouve beaucoup moins sur les portraits nobiliaires jusqu'à ce que la tendance s'inverse dans le premier quart du XVIIe siècle. On assiste dans les années 1600-1620 à un inversement de la hiérarchie opposant culotte et trousse. Dans les années 1630, les nobles portent la culotte longue, alors que la trousse est reléguée comme vêtement de protocole, et livrée des domestiques.

 

3 - Typologies des formes

 

Cette appropriation de la culotte longue par la noblesse explique qu'on assiste à une évolution continue de ses formes, au fur et à mesure de son intégration à la mode aristocratique.

Deux formes de culottes prédominent successivement durant cette longue période : la chausse à la gigotte, pour le XVIe siècle et son opposé, la chausse en bourse pour le XVIIe siècle. La mode fonctionne par trangression des styles et par opposition des formes. A la chausse serrée et moulante, s'oppose également la chausse bouffante en tuyau d'orgue, ou à gros plis. Et à la chausse soigneusement boutonnée et maintenue par une jarretière, s'oppose la chausse ouverte aux genoux qui donnera naissance à la rhingrave. Toutes ces locutions appartiennent à la même famille. Elles désignent des formes de « culotte longue » dont elles ne sont que des sous-catégories.

 

typologie_culotte3

 

 

 

Les années 1560

 

 

Veronèse, Villa Barbaro, 1562Les années 1560 constituent la période où la culotte longue apparaît sous une forme plutôt ample et souple. C'est la ligne qui habille le chasseur peint en 1562 par Paul Véronèse à la Villa Barbaro (en Vénétie).

Le vêtement paraît facile à enfiler, et aisé à porter au quotidien. C'est la raison pour laquelle, il est employé dans les activités sportives comme la chasse.

Chausse 1546-50L'origine de cette forme est peut-être à rechercher dans les vêtements longs que les marins portent dans une longueur variant entre le mi-mollet et les chevilles :  la chausse à la marinière (ou à la marine). C'est le pantacourt d'aujourd'hui. Au XVIe siècle, sa forme est pluôt flottante, avec plus ou moins d'amplitude. Dès lors, la cité de Venise, qui a fait sa fortune dans le commerce maritime offrait un milieu privilégié pour le développement de ce type de mode.

Titien, Tarquinius and Lucretia, 1571Cette forme de chausse se retrouve dans Tarquin et Lucrecia, oeuvre peinte par Titien en 1571 (image ci-contre à droite). Tout comme le chasseur de Véronèse, il s'agit d'une peinture vénitienne. L'iconographie conforterait ainsi l'origine de cette mode et l'usage du terme « chausse à la vénitienne ».

La peinture représente la scène d'intimidation qui précède le viol de Lucrèce. Dans la violence de ses mouvements, Tarquin a défait ses propres vêtements ; son bas-de-chausse s'est détaché et détendu, sa « culotte » remonte en plis sur la cuisse.

 

Chausses à la gigotteDans les années 1560, la « culotte » suit la tendance au ballonnement qui domine la mode des trousses à cette époque.

On appelle chausse à la gigotte, un haut-de-chausses ballonné à la hauteur des cuisses, se resserrant au-dessus du genoux, moulant le bas des cuisses. Elle doit son nom à sa forme de gigot (image ci-contre).

C'est à ce type de chausse que certains ouvrages donnent le nom de culotte vénitienne. Le chasseur de Veronèse en présentait les signes avant-coureurs, ample autour des cuisses et ajustée aux genoux.

Chausses à la gigotte, extrait d'archives des ad31L'image ci-contre rappelle le contexte fratricide de cette époque. Dans cette période troublée des guerres de religion, le haut-de-chausses est aussi un vêtement fonctionnel, employé pour transporter toutes sortes d'objets interdits: tracts politiques, livres religieux et armes (image ci-contre : extraite du registre des arrêts du parlement de Toulouse de 1571-1572, archives départementales de Haute-Garonne)

 

 

 

 

Les années 1570

 

Chausses bouffantes vers 1570-75Au commencement des années 1570, le haut-de-chausses ballonné a atteint son point culminant.  

C'est ce qu'illustrent les trois peintures ci-contre qui représentent des hommes de guerre de trois pays différents. Les hauts-de-chausses qu'ils portent ont une forme ronde qui les fait rattacher à la famille des trousses.

Il ne s'agit pas d'une culotte longue, puisque le vêtement s'arrête aux deux-tiers de la cuisse et qu'il retombe de façon bouffante au-dessus du genou.

The Book of Faulconry, 1575Dans les années 1570, la culotte longue reste dominée par la forme en gigot, bien que celle-ci connaisse un déclin progressif. Cette forme ballonnée apparaît très bien sur les gravures d'illustration d'un livre anglais de fauconnerie édité en 1575 (image ci-contre, The Book of Falconry or Hawking by George Turberville, 1575).

Le haut-de-chausses à la gigotte prédomine encore la mode commune des années 1570, mais tend à s'amenuiser et à perdre de sa rotondité.

Die Sieger der Seeschlacht von Lepanto, 1571Sur le tableau de commémoration de la bataille de Lépante peint vers 1575 et conservé au Kunsthistorisches museum (image ci-contre), la « culotte » du personnage central a encore des allures de chausses à la gigotte, ample à la taille et ajustée au bas de la cuisse.

A noter que l'on reste dans le domaine de la représentation d'hommes de guerre, ici à un plus haut niveau social que les trois portraits précédents et que des trois hommes, un seul porte la trousse, c'est le prince (Don Juan d'Autriche), confortant la dimension aristocratique de la trousse.

Chausses anglaises vers 1575-1580Les trois portraits anglais présentés ci-contre appartiennent à la seconde moitié des années 70. Ils montrent l'évolution de la  « culotte » vers une ligne plus avachie.

Ils représentent un prince, le jeune Jacques Stuart (à gauche), et deux roturiers ; Martin Frobisher un marin britannique connu pour ses explorations outre-atlantique (au centre), et un géant peint pour sa taille extraordinaire (à droite).

Le portrait de Jacques Stuart témoigne que la « culotte » peut être portée par un prince. Il s'agit toutefois du portrait d'un enfant, et l'on retrouve dans d'autres portraits princiers, cette dérogation qu'ont les enfants  nobles d'être répresentés dans un vêtement plus commun que la trousse. Le jeune prince reste habillé avec beaucoup de noblesse ; il porte un vêtement plus riche et mieux agencé que les deux autres (le bonnet de cour est porté derrière la tête, le collet est boutonné jusqu'à la ceinture, contrairement aux deux autres qui laissent entrevoir le pourpoint).

 

 

Les années 1580

 

Aux Pays-Bas

 

La tendance majeure des années 80 est l'ajustement de la chausse à la forme de la cuisse. La « culotte » devient plus étroite au point de ressembler à la « culotte » moderne du XVIIIe siècle.

Cette évolution est illustrée par cette série de gravures ci-dessous ; le personnage de gauche reste habillé à l'ancienne mode ; sa culotte est encore large et flottante. En revanche, les trois autres personnages, habillés à la mode des années 1580 (fraises larges, panseron du pourpoint en pointe, et manches amples) portent une « culotte » ajustée.

 

Officiers des Provinces-Unies, années 1580

The Company of Captain Rosecrans, 1588La compagnie du capitaine Dirck Jacobsz Rosecrans est un portrait de groupe peint par Cornelis Ketel en 1588. Il représente des officiers de la garde civile d'Amsterdam, tous issus de la bonne bourgeoisie hollandaise. L'oeuvre est conservée au Rijksmuseum. Elle inaugure un art du portrait consistant à représenter des groupes d'officiers, en pied.

Tous portent une chausse couvrant les cuisses jusqu'au genou. La « culotte », est fermée sur le coté par deux boutons situés au niveau des genoux. Sa forme est légèrement flottante. Aucun de ces hommes ne portent la trousse.

 

 

En France

 

Scènes de bal à la cour des ValoisA la cour de France, la mode est au petit culot, un haut-de-chausses si court qu'il est porté sur les hanches. Il est accompagné de canons, sorte de chausses longues et étroites qui moulent les cuisses.

La mode d'associer les deux vêtements date des années 70 et se confirme dans les années 80 avec l'atrophie du vêtement ; la trousse se porte de plus en plus courte, et la chausse allongée de plus en plus ajustée.

Dans la scène de bal de la cour des Valois (images ci-contre), les gentilhommes portent des canons assortis au pourpoint, les chausses sont en effet tailladées d'une multitude de petits crevés parallèles, alignés en rangs superposés.

Portraits de princes de France et de LorraineCet assortiment du costume n'est pas propre à cette époque. Mais les documents d'archives permettent d'établir que sous Henri III, les pièces d'habit étaient commandés ensemble (pourpoint et chausses) 4. En témoignent les deux portraits en pied de deux princes français ci-contre (portraits présumés des petits-fils de Catherine de Médicis : Charles de Valois, et Henri marquis de Pont-à-Mousson).

Les canons moulants à culot se distinguent de la chausse vénitienne allongée (aux genoux). Celle-ci peut se porter sans culot, alors que les canons moulants sont indissociables du culot avec lequel ils sont cousus.

La lutte pour la culotteOn le voît sur les scènes allégoriques représentant le thème de la lutte pour la culotte (image ci-contre). La scène représente des femmes de différentes conditions sociales se disputant le vêtement, chacune voulant se l'accaparer 5.

L'objet convoitée est une culotte avec des crevés alignés, telle que la portent les gentilshommes d'Henri III dans les scènes de bal vues précédemment. Dans la partie supérieure du vêtement, on distingue la présence du culot, avec ses bandes parallèles verticales.

Chaque partie du vêtement est vigoureusement maintenue. Deux des dames tiennent respectivement un canon, une autre tient le culot, et une quatrième s'est emparée de la braguette à forme phallique.

Les belles Figures et Drolleries de la ligueA la fin de la décennie, la « culotte » est ajustée à la forme des cuisses.

C'est le type de haut-de-chausses que l'on retrouve sur les nombreuses images populaires représentant les évènements de la Sainte Union (ou Ligue catholique) qui troublèrent la vie politique française à la fin de la décennie. Sur la gravure ci-contre représentant l'assassinat du cardinal de Guise, les gardes sont représentés avec une « culotte » ajustée.

 

 

 

 

 

 

Les années 1590

 

Les années 1590 sont caractérisées par la mode du haut-de-chausses ouvert au niveau du genou.

Chausse déboutonnéeA l'origine, il s'agit d'une chausse simplement déboutonnée au bas de la jambe. Une patte de boutonnage située sur le coté permettait en effet de fixer la culotte au niveau du genou (image ci-contre).

Il est possible que cette mode soit née d'une recherche volontaire de négligence. Tout comme la mode du jeans taille basse, ou du jeans troué, la mode de la culotte desserrée procèderait d'une provocation vestimentaire destinée à créer une distinction sociale, et la naissance d'un nouveau style.

Le philosophe Montaigne évoquait déjà la conduite vestimentaire provocatrice et transgressive de la jeunesse. Par un bas de chausse mal tendu ou le port du manteau en écharpe, l'effet de négligence était déjà recherché 6

La mode est probablement apparue dans les années 1580. Son évolution dans les années 1590 consiste en une ouverture de plus en plus ample et une coupe droite, au point que les canons de la chausse finissent par former deux tuyaux.

A la fin de la décennie, la chausse se présente comme un pantalon court dans une forme proche des bermudas actuels.

La tendance est partagée par toute l'aristocratie européenne (images ci-dessous).

Chausses ouvertes, années 1590

 

Cette tendance est illustrée dans de nombreuses gravures issues des Pays-Bas. Elle habille les explorateurs outre-atlantique de Theodore de Bry, les figures allégoriques d'Hendrik Goltzius et les mascarades de Jacob De Gheyn (images ci-dessous)

Chausses ouvertes aux genoux, Goltzuis

 

La gravure ci-dessous montre les deux façons de porter le haut-de-chausses dans les années 1590. A droite, l'homme porte des canons moulant les cuisses et par-dessus des trousses. A gauche, l'homme porte cette chausse tuyautée et ouverte qui a la forme d'un bermuda.

Théodore de Bry 1598, Tortues géantes sur l’île Maurice

 


Notes et références

1. Edmond Huguet, Dictionnaire de la langue française du 16e siècle. Il est fait mention d'un hault-de-chausse à la culote pour l'année 1515.

2. Le Dictionnaire universel d'Antoine Furetière, Le Robert, Paris, 1978. « Espèce de haut-de-chausse court et serré, où l'on attache quelquefois des bas, des canons, des ringraves ». « Signifie aussi des trousses de page qui sont serrées et plissées et qui ne couvrent que le haut des fesses. C'est aussi le haut-de-chausse des chevaliers de l'ordre du saint esprit, et celuy que les gens d'armes portoient autrefois à cheval ».

3. THÉPAUT-CABASSET Corinne, L'Esprit des modes au Grand Siècle, Paris, Éditions du CTHS, 2010, p. 120, 127.

4. Jacqueline BOUCHER, Société et mentalités autour de Henri III, Paris, Honoré Champion, coll. « Bibliothèque littéraire de la Renaissance », 2007.

5. Christiane Klapisch-Zuber, « La lutte pour la culotte, un topos iconographique des rapports conjugaux (xve-xixe siècles) », Clio. Femmes, Genre, Histoire, 34 | 2011, voir en ligne

6. Madeleine Lazard, « Le corps vêtu : signification du costume à la Renaissance », in Le Corps à la Renaissance. Actes du XXXe colloque de Tours, 1987, é, Paris, Amateurs de Livres, 1990, p. 77-94

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27 avril 2019

Culotte - XVIIe siècle

Les années 1600

 

 

Aux Pays-Bas

 

La première décennie du XVIIe siècle est marquée par le retour des formes amples ou ballonnées. Elle constitue l'aboutissement d'une période de transition entre deux tendances opposées, l'une étroite et serrée et l'autre volumineuse et étoffée. 

C'est par les Pays-Bas que la présentation commence, car l'épanouissement artistique du siècle d'or néerlandais met à la disposition des historiens d'aujourd'hui un important stock d'images qui permet d'en saisir les différentes évolutions.

Pendant la première décennie du siècle, la mode de la « culotte » est ainsi dominée par trois tendances principales plus ou moins successives :

Pays-Bas 1600-1610

1- la « culotte » ouverte au genou de type « bermuda » ; c'est la tendance de la décennie précédente. Dans les années 1600, elle est en fin de parcours.

2- la « culotte » fermée et bouffante, qui succède à la tendance précédente par opposition des effets : l'une est fermée / l'autre était ouverte (à l'ouverture du genou) ; l'une est bouffante / l'autre donnait l'apparence d'être creuse .

3- la « culotte » ballonnée ; c'est une mode qui procède des tendances précédentes. La chausse prend du volume par ballonnement dans une ampleur qui connaît son apothéose à la toute fin de la décennie.

 ***

L'hiver, 1601- Tendance n° 1

La « culotte » ouverte au genou atteint son apogée dans les premières années du XVIIe siècle.

Elle se présente en coupe droite dans une forme semblable aux bermudas d'aujourd'hui (image ci-contre : L'hiver, 1601, d'après Goltzius). Il ne s'agit pas d'une « culotte courte », car en longueur, elle s'étend au genou qui est plus ou moins recouvert.

Breen, Verspilling in het huwelijkDans les années 1600, elle présente un volume très ample qui tranche avec la ligne serrée des années 1590. Sa forme large et flottante rappelle la mode des baggy shorts portés par les basketeurs américains dans les années 1990 (image ci-contre).

Dans le courant de la décennie, la « culotte » cède à la mode du ballonnement et perd sa coupe droite au profit d'une contenance enflée (galerie d'images ci-dessous). Sous la poussée des nouvelles formes bouffantes comme la chausse en bourse, elle finit par disparaître de l'iconographie à la fin de la décennie.

Variarum Gentium Ornatus, Belges, 1605-10La mode de la chausse ouverte est très présente dans les scènes de genre aux Pays-Bas. Cela laisse supposer que c'est dans les pays d'Europe du Nord que cette tendance s'est developpée.

Dans la série consacrée aux costumes des différentes nations, Variarum Gentium Ornatus gravée vers 1605-1610 par Peter Jode, trois personnages sur dix portent ce type de culotte ; l'un est anglais, et les deux autres représentent les Pays-Bas espagnols (image ci-contre : représentations d'un marchand et d'un noble de nationalité belge). Les Pays-Bas du Nord ne sont pas représentés dans cette série, mais cette mode apparaît dans de nombreuses estampes des maîtres néerlandais, à l'instar de Van Breen et Visscher (images ci-dessous).

La confrontation des images montrent l'évolution de la ligne sur une décennie, marquée sur sa fin par la tendance au ballonnement.

 Pays-Bas, 1600-1610

 

  

  ***

Cour vers 1610- Tendance n° 2

La « culotte » bouffante des années 1600 se présente allongée, couvrant les cuisses jusqu'aux genoux et d'une contenance rembourrée. Son aspect bouffant au genou prend le contrepied de la mode précédente.

Elle est illustrée par les dessins de soldats gravés par Jacques de Gheyn (Provinces-Unies), et les scènes de banquet de Louis de Caullery (Pays-Bas espagnols).

Dans la série Variarum Gentium Ornatus gravée vers 1605-1610 de Peter Jode, elle habille les élégants français, italiens et portuguais. 

  Caullery (attr), An elegant company

 

Soldats, Gheyn

 

 

***

 

Avercamp 1608-1610- Tendance n° 3

Dans le courant de la décennie, la « culotte » adopte une ligne ballonnée qui atteint son apogée au passage des années 1610 (image ci-contre, un patineur, par Hendrick Avercamp, 1610).

Jan Claesz_1602_Albert-SonckCette tendance naît en opposition au style des années 1580 et 1590 qui étaient marquées par une coupe relativement droite et l'ajustement des culottes à la taille des cuisses.

Il s'agit également d'une réaction à la mode des culottes élargies aux genoux, à leur allure flottante et creuse. A la mode des baggy short, succède donc une mode plus arrondie, consistante et étoffée.

La nouvelle tendance apparaît dès le début de la décennie. La ligne se présente alors légèrement courbe ou galbée (image ci-contre, portrait d'Albert Sonck et son fils, par Jan Claesz, 1602).

Circle of Jan Claesz, 1609L'amplitude de la fin de la décennie rappelle la rondeur des chausses à la gigotte portées dans les années 1565-1575. Il s'agit de la résurgence d'une mode vieille de quarante ans (réminescence cyclique des modes qui sautent une génération).  La seule différence est qu'il n'y a pas d'ajustement au bas de la cuisse. Il ne s'agit pas d'un gigot qui moule le genou. Ce dernier reste dissimulé sous plusieurs plis bouffants.

Dans le cas des chausses ouvertes, le ballonnement réduit l'ouverture au niveau du genou et contribue à l'étiolement et à la disparition de ce style (images ci-contre, Jan Claesz, 1609).

A la fin de la décennie, la « culotte » se présente comme un gros ballon rond. Ce ballonnement est particulièrement remarquable sur les portraits et scènes de genre des années 1608 et 1609. 

ballonne-1608-1609_petitformat

 

 

 

 

En France

 

Les tendances observées aux Pays-Bas se retrouvent en France, bien que l'iconographie n'offre pas un corpus aussi riche pour le confirmer et les présenter en détail.

La mode du « bermuda » peut tout d'abord s'observer sur des gravures représentant des gentilshommes et même des princes. Sur les images ci-dessous, elle habille le roi d'Angleterre (portrait de Jacques Ier, ci-dessous à gauche) et le roi de France (sur une gravure représentant le toucher des écrouelles) (ci-dessous à droite).

 Jacques Ier et Henri IV

Thomas de Leu, Le soldat et la mort, 1600La juxtaposition des deux rois montrent deux styles distincts. Jacques Ier porte une chausse à la coupe droite, tandis qu'Henri IV porte une chausse à la forme légèrement galbée

Cette ligne galbée se retrouve sur d'autres gravures françaises. On la constate notamment dans une oeuvre de Thomas de Leu, datée de 1600 et intitulée Le jeune homme et la mort (image ci-contre) ; la gravure représente un gentilhomme affrontant l'allégorie de la mort (ou du temps qui passe).

Ce qui est intéressant avec cette gravure, est que c'est la reprise d'une oeuvre du néerlandais Crispin de Passe (tirage conservé par le British museum)6. Thomas de Leu, son contemporain français, l'a reprise en adaptant l'habit du jeune homme à la mode française.

De Passe vs Leu, circa 1600En juxtaposant les deux oeuvres, apparaissent deux modes différentes, l'une néerlandaise avec une « culotte » à la coupe droite, et l'une française avec une « culotte » à la ligne courbe.

On peut dès lors s'interroger sur l'origine de cette ligne et s'il ne faut pas voir dans la tendance à l'amplitude une tendance à l'origine française.

S'il n'est pas possible de le confirmer l'origine française, on peut à tout le moins établir cette forme galbée comme le chaînon manquant entre la chausse ouverte (type bermuda) portée autour de 1600 et la « culotte » ballonnée qui s'impose dans des années 1600.

 

L'autre grande nouveauté du XVIIe siècle, est que la « culotte » devient un article d'élégance aristocratique. Les trois portraits en pied présentés ci-dessous en témoignent. La « culotte longue » a désormais sa place sur les portraits d'apparat, montrant son enracinement dans la mode curiale.

Sur le premier tableau à gauche, peint vers 1610 par le flamand François Pourbus, la « culotte » a l'honneur d'habiller le roi Henri IV (bien que cela ne soit pas la première fois). Les deux autres représentent des princes de la maison de Lorraine (le duc de Guise, et son frère le prince de Joinville). Le fait que l'on retrouve, ce vêtement sur des portraits de la haute noblesse française, seul (sans le culot) est significatif de la transition qui s'opère au début du XVIIe siècle. L'image sociale de la « culotte » et de la trousse est en train de s'inverser.

Roi et princes de France, circa 1610

Du point de vue du style, cette galerie de portraits inaugure la mode de la chausse à gros plis : le vêtement est bouffant mais n'est pas ou peu ballonné. Il ressemble davantage à un ballon de baudruche dégonflé.

Du coté de la coupe, les trois portraits s'inscrivent dans la continuité de la chausse à la ligne courbe. Celle du prince de Joinville (troisième image à droite) offre le modèle d'une chausse à plis très amples, et bouffante au niveau du genou, anticipant la grande tendance des années 1610 : la chausse en bourse.

 

 

Les années 1610

 

En France

 

La tendance des années 1610 s'inscrit dans la continuité de la décennie précédente avec des « culottes » bouffantes très amples dont le volume rappelle la mode des années 1565-1575. Cette amplitude est caractérisée par l'amplitude des plis qui lui ont donné son nom : la chausse à gros plis, également appelée chausse à tuyaux d'orgue 5.

Cette mode s'observe autant dans la classe bourgeoise (l'image de gauche ci-dessous représente un marchand parisien) que dans la noblesse. Pour un aperçu "statistique" des typologies du haut-de-chausses et de sa répartition sociale, je recommande la consultation des gravures de Merian, intitulée L'ordre tenu au marcher parmy la ville de Nancy capitale de Lorraine à l'entrée en icelle du serenissime prince Henry II (liens vers Gallica : nobles, bourgeois, gens de justice).

Bourgeois parisiens, années 1610

La « culotte » de forme ballonnée qui caractérisait les années 1605-1610 cède la place à une « culotte » de forme avachie. La chausse reste à gros plis mais sa forme présente désormais celle d'un ballon de baudruche dégonflé.

Cette mode trouve son apothéose dans les années 1615-1620. La chausse n'est plus bombée ; ses plis retombent verticalement le long des cuisses, présentant un effet bouffant qu'au dessus des genoux. C'est la mode de la chausse en bourse.

Cette tendance procure au gentilhomme une ligne allongée qui rappelle la mode espagnole des trousses à la ligne très verticale. Elle habille le roi Louis XIII sur le portrait ci-dessous à gauche.

Chausses en bourse, France années 1610

 

En Angleterre

La série de portraits présentés ci-dessous présente les trois grandes tendances successives de la décennie.

En 1610, la « culotte » se présente ballonnée en forme de bourse (première ligne de portraits ci-dessous). Puis, dans le courant de la décennie, elle s'affaisse et perd de sa rotondité. Sa forme passe d'une ligne concave à une contenance flasque (deuxième ligne de portraits ci-dessous). Sa ligne devient presque convexe. L'aspect bouffant au-dessus des genoux maintient la forme en bourse.

Portraits anglais circa 1610

Chausses anglaises, années 1610

A la fin de la décennie, les portraits du roi Jacques d'Angleterre montre un changement de forme radical. La tendance revient à une forme en oeuf, mais inversée au regard de la mode dominante. Au lieu d'être bouffante au-dessus des genoux, la culotte est arrondie dans sa partie supérieure (ligne de portraits ci-dessous). La libération du genou sera la grande tendance des années 1620.

James Ier circa 1618

 

 Aux Provinces-Unies

 

Vinckboons, De buitenpartij, circ 1610Au commencement de  la décennie, l'hypertrophie du haut-de-chausses est à son apogée. Les peintures de genre du siècle d'or hollandais en offrent de nombreuses illustrations.

Pour le début des années 1610, l'amplitude de plis marque les oeuvres de David Vinckboons. Le peintre néerlandais s'est spécialisé dans les scènes de village, mais aussi dans les parties de campagne comme l'illustre l'image ci-contre (extrait d'une garden party). L'image offre le visuel d'une « culotte » particulièrement bouffante. Peinte vers 1610, elle illustre une tendance qui est à son point culminant.

Puis, la chausse perd son ballonnement et adopte une ligne verticale. Cette tendance est très bien illustrée par les oeuvres d'un autre peintre néerlandais : Willem Buytewech. Son art met en scène des banquets où se retrouve la silhouette très verticale de la chausse à plis.

Buytewech a aussi laissé des gravures de mode ; le Rijksmuseum en conserve quelques unes, datées de 1615, représentant des jeunes hommes sensés être originaires de pays différents (illustrations ci-dessous) ; la coupe de la « culotte » reste la même : verticale et allongée.

Buytewech, 1615

Buytewech, Voorname vrijage, 1616-1620, RijksmuseumL'aspect dominant de cette période est que la culotte à gros plis est tellement bouffante dans sa partie inférieure  que visuellement, elle fait disparaître le genou. C'est son effet le plus caractéristique ; à la décennie suivante, le genou sera au contraire à découvert.

Buytewech est décédé très jeune à l'âge de 32 ans en 1624. Dans les années 1620, sa peinture a influencé un autre peintre spécialisé dans les scènes de genre : Dirck Hals, frère du celèbre portraitiste Frans Hals.

 
 

 

Les années 1620

 

En France

 

Louis XIII victorieux, 1620Dans les années vingt, la chausse n'a plus la forme verticale de la tendance précédente mais plutôt la ligne ovale d'un oeuf (images ci-dessous).

Sa forme est toujours bouffante, mais elle ne retombe plus de façon flottante sur les genoux ; elle s'arrête au bas de la cuisse et est resserrée dans sa partie inférieure, laissant voir l'ouverture au-dessus du genou. C'est la grande nouveauté des années 1620, l'orifice par où passent les jambes est visible ; sur le portrait du roi Louis XIII ci-contre, il est fermé par des aiguillettes, sortes de cordons munis d'un embout métallique appelé ferret 7. Ce qui était conventionnel de cacher, devient un ornement de mode.

Le genou est désormais à découvert.

Dans les pages illustrées de L'instruction royale de Pluvinel, gravée par Crispin de Passe, plusieurs types de hauts-de-chausses sont représentés. Les chausses de la tendance du moment, à l'instant décrites, habillent les jeunes hommes représentés sur les images ci-dessous. En revanche, les personnes plus agées portent une chausse allongée plus datée (cachant le genou) et plus sobre (dans la ligne) (exemple avec le marquis de Souvré, précepteur de Louis XIII, représenté à droite sur ce lien vers Gallica). 

Pluvinel, L'instruction du roi, 1620-1625

 

***

Gentilhomme françaisEn France, cette tendance d'une culotte courte de forme ovale n'a pas traversé la décennie. A la fin des années 1620, une autre tendance se manifeste, celle de la chausse allongée sans ballonnement, ni gros plis (images ci-contre).

David Charles, L'Espoir de la FranceAu fur et à mesure de la décennie, le haut-de-chausses perd en effet de sa rotondité. Du point de vue de la ligne, il s'adapte à la forme des cuisses, sans être moulant. La chausse perd ses gros plis, mais reste encore légèrement bouffante. Elle s'allonge à la hauteur des genoux et prend la forme d'une chausse à l'aspect flottant.

La transition n'est pas évident à montrer sur le plan iconographique. Il s'agit d'une réminiscence de la chausse portée dans les années 1600, avec une ligne moins bouffante.

Ce n'est plus une chausse ballonnée (1605-1615), ni une chausse en bourse (années 1610-1620), ni une chausse en tuyaux d'orgue (années 1615-1620).

 

En Suède

Pourpoint et culotte bouffante du roi de Suède vers 1620Les collections royales de Suède comprennent des pièces de vêtement et des tableaux qui illustrent assez bien la forme ronde ou ovale de la « culotte » bouffante des années vingt. Sur les portraits des hommes de guerre présents dans ces collections (images ci-dessous), ce ballonnement des formes est très marqué. Les genoux sont à découvert, à contrepied de la mode des années 1610.

La mode suédoise ne suit pourtant pas de logiques différentes des tendances européennes. Comme en France, on observe que dans le courant de la décennie, la « culotte » bouffante s'affaisse et s'avachit.

 

Portrais de militaires suédois 1623-1624

 

En Angleterre

Les portraits anglais montrent la même forme ovale et légèrement ballonnée.

Par ailleurs, comme sur le portrait de Louis XIII, vu précédemment, l'ouverture du bas de la chausse est visible, laissant à découvert la rangée d'aiguillettes qui la ferme. La forme raccourcie de la chausse produit ainsi le développement d'une nouvelle tendance : l'ornementation du bas de la « culotte » par l'agencement esthétique des cordons de fermeture. Cette utilisation harmonieuse des cordons est promise à un avenir durable.

Chausses anglaises, années 1620

 

 

 

Les années 1630

 

En France

Dans les années trente, la tendance est à une forme allongée au-dessous du genou et à une coupe de plus en plus ajustée. A la fin de la décennie, la « culotte » se présente comme un pantacourt à la coupe presque droite. Sa forme ne doit pas être confondue avec le patalon 8.

La galerie d'images ci-dessous sont des portraits de princes français (ou lorrains), peints par Ferdinand Elle et Antoine van Dyck entre 1630 et 1635. La période présente encore des chausses au tissu flottant, mais de forme allongée. Le premier portrait peint en 1631 présente encore une chausse fermée aux genoux. En revanche, les portraits suivants présentent plutôt une chausse ouverte autour du mollet.

Portraits francais, 1630-1635

 

 

En Angleterre

La chausse à gros plis passe d'une ligne ample (première ligne de portraits ci-dessous) à une forme allongée. Comme nos pantalons modernes, elle adopte une coupe droite (deuxième ligne de portraits ci-dessous).

Portraits anglais, 1631-1635

 Portraits anglais, 1635-1636

 

 

Aux Provinces-Unies

Portraits hollandais, 1635-1640

 

 

Les années 1640

 

 

En France

DaLouis XIV enfant c1650 Nocret (attrib)ns les années quarante, la culotte est ouverte au niveau des genoux dans une tendance qui rappelle les années 1590. C'est le retour de la chausse de type "bermuda", mais avec une amplitude assez large. Cette tendance va se poursuivre dans les années soixante et donner naissance à la rhingrave.

Louis XIV, 1643-1649

 

 

  Aux Provinces-Unies

 

La culotte ressemble encore au « pantacourt ». 

1639 Bartholomeus van der Helst, détailCette ligne est très bien illustrée dans le tableau de Bartholomeus Van der Helst daté de 1640-1643 (Schutters van wijk VIII in Amsterdam onder leiding van kapitein Roelof Bicker, Rijksmuseum).

La culotte garde une coupe droite plus ou moins ajustée. Au bas de la chausse du personnage de droite, on peut apercevoir que le vêtement est déboutonné.

Bien que la mode est encore à la culotte resserrée, il apparaît sur cette image, les prémices de la mode des canons amples.

 

 

Ci-dessous les illustrations des aiguillettes.

 

1639 Bartholomeus van der Helst,_aiguillette

Cette mode se retouve sur le tableau peint en 1648 par Van der Helst dans le Banquet de la garde civile d'Amsterdam fêtant la paix de Münster.

1648, Helst, The celebration of the peace of Münster

 

 

Les années 1650

 

Dès le début de la décennie, les canons sont si larges que le haut-de-chausses a des allures de jupe culotte à la coupe droite. La culotte en rhingrave est née.

1650-1654

 

 

Epilogue

 

Michael Korybut WiśniowieckiDans les années 1660, la culotte en rhingrave est si ample qu'elle apparaît sous la forme d'une jupe sans entrejambe (image ci-contre : Portrait de Michael Korybut Wisniowiecki, circa 1670).

Son règne n'a qu'un temps. Dans les années 1670, l'artiste néerlandais Romeyn de Hooghe édite une série de gravure de mode qui illustre sa disparition (images ci-dessous). La rhingrave apparaît sur différents personnages masculins ; sa longueur la fait descendre jusqu'à mi-mollet. En revanche, le riche seigneur qui suit la mode de la cour, est déjà passé à un autre style (quatrième figure à droite) : il porte la rhingrave sous un justaucorps long et large qui la dissimule ; la rhingrave elle-même est plus courte. L'estampe ne permet pas de le voir, mais la rhingrave est désormais posée sur une culotte bouffante, prémices d'un nouveau départ pour la mode de la « culotte ».

 

Figures à la Mode

 

Leclerc_Sébastien_Louis_XIV_s'entretient_avec_Colbert_GallicaDevenue désuète, la culotte en rhingrave est reléguée à un usage commun. Dans les années 1680, elle est portée par les catégories socio-professionnelles moins soumises aux caprices vestimentaires.

A la cour de France, la rhingrave continue ainsi d'habiller le principal ministre Jean-Baptiste Colbert. Les images qui le représentent avec le roi Louis XIV, l'habillent toujours en « jupe ». Son habit austère et désuet est un marqueur d'identité sociale qui le renvoie à ses origines marchandes et à son statut de grand commis. Dans cette gravure de Sébastien Leclerc (image ci-contre), apparaîssent ainsi deux façons de s'habiller, l'une d'épée (à gauche), l'autre de bureau (à droite).

 

 


 

Notes et références

5. L'expression se trouve dans Le Dictionnaire universel d'Antoine Furetière à l'entrée chausse : « ce sont des chausses qui sont si amples, que les plis qu'elles font naturellement, imitent les tuyaux d'orgues ».

6. Le thème est très ancien ; voir l'article consacré à ce sujet sur un blog dédié à l'estampe.

7. LELOIR Maurice, Dictionnaire du costume et de ses accessoires, des armes et des étoffes des origines à nos jours, Paris, Gründ, 2012, p. 3 et 154.

8. Au XVIIe siècle, le pantalon désigne un vêtement long (jusqu'aux chevilles) et collant. Il est à tort employé pour désigner la mode sous Louis XIII (comme dans BOUCHER François, Hist.... et dans RUPPERT Jacques,  Le cost... ).

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